1. Dans son ouvrage « Lettres historiques et galantes », Anne-Marguerite Petit Dunoyer, dite Madame Dunoyer, relate, au début du xviie siècle, une scène au cours de laquelle deux hommes conversent à propos de leurs préférences en matière de littérature [1]. L’un d’eux exprime sa faveur pour l’œuvre épistolaire écrite par Vincent Voiture au xviie siècle en tenant ces propos : « les lettres de Voiture sont les plus jolies du monde » [2]. Un commerçant, témoin de cet échange, se joint à la conversation et s’étonne de l’admiration portée aux lettres de voiture. Cette incompréhension, source de quiproquo, est due au fait que pour le marchand en question, l’expression « lettres de voiture » ne fait pas référence à une œuvre littéraire mais à sa pratique commerciale.
2. En effet, sous l’Ancien Régime, les lettres de voiture, en matière de commerce, sont les documents qui contiennent « un état des choses qu’un voiturier dénommé est chargé de conduire à la personne à laquelle elles sont envoyées » [3]. Elles sont les actes qui établissent les clauses du contrat de transport et présentent donc notamment un intérêt probatoire pour les commerçants et les voituriers [4]. Les lettres de voiture concernent plus particulièrement la circulation des marchandises par voie terrestre et fluviale que le pouvoir royal souhaite améliorer à partir du xviie siècle. Cette volonté se traduit notamment par la mise en place de la corvée royale pour l’entretien des routes et la construction de nouveaux canaux. Le transport fluvial est à l’époque de l’Ancien régime privilégié car il permet notamment des chargements plus importants que le transport terrestre. Cette politique royale a cependant des effets économiques limités. Aux xviie et xviiie siècles, le transport fluvial et terrestre des marchandises est lent et coûteux. Il est assuré par des voituriers dont la profession est libre [5]. La description des marchandises transportées par voie maritime fait, elle, en principe, l’objet d’un « connoissement » [6]. Cet acte est soumis à un régime juridique particulier notamment déterminé par l’Ordonnance de la Marine de 1681 [7]. Les lettres de voiture sont établies pour le transport des marchandises dont le poids est supérieur à cinquante livres [8]. Les messagers ont en charge le transport des autres biens [9] dont ils dressent un état dans un registre [10]. Les lettres de voiture sont, en outre, les seules lettres que les voituriers sont autorisés à transporter [11].
3. Les lettres de voiture se présentent sous la forme d’un écrit que l’expéditeur adresse au destinataire des marchandises. Cette contribution a pour objet l’étude du régime juridique des lettres de voiture aux xviie et xviiie siècles selon les ouvrages de droit français. La plupart des auteurs de l’ancien droit commercial, tout d’abord, proposent des modèles de ces actes dont ils étudient principalement les clauses de style [12]. Cette contribution est donc centrée sur l’étude de ces lettres de voiture types :
- J. Savary, Le parfait négociant, Paris, chez les frères Estienne, 1777, t. I, part. II, liv. III, chap. V, p. 588-589.
- Moitoret de Blainville, Nouveau traité du grand négoce de France, Rouen, chez J.-B. Besongne, 1729, t. II, chap. IV, p. 8.
- M. de La Porte, La science des négociants, Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1783, 3e traité, sect. IV, n° VIII, p. 473.
- H. Desaguliers, Instruction abrégée sur les livres à doubles parties ou à l’italienne, Amsterdam, chez la Veuve de Jacques Desbordes, 1721, p. 71.
- J. Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Paris, chez la Veuve Estienne, 1741, t. III, art. « Lettre de voiture », p. 72.
- J. Paganucci, Manuel historique, géographique et politique des négociants, Lyon, chez J.M. Bruyset, 1762, t. III, art. « voiturier », p. 263.
- J.-B.-A. Malisset d’Hertereau, La parfaire intelligence du commerce, Paris, chez Lami et chez Deville, 1785, t. II, p. 60.
4. Deux catégories de lettres de voiture peuvent être répertoriées en fonction du délai prévu pour la livraison des marchandises. Tout d’abord, la lettre de voiture peut mentionner une date précise à laquelle doit être faite la livraison. Dans ce cas, elle est dite « à jour nommé » [13]. La lettre de voiture peut, ensuite, indiquer seulement le « temps du départ » [14].
5. À propos de cette deuxième catégorie de lettres de voiture, Mathieu de la Porte indique, au début du xviiie siècle, dans son ouvrage La science des négociants, que les clauses de celles-ci sont déterminées par l’article IX de l’Édit de décembre 1672 concernant la juridiction du Prévôt des marchands et échevins de la Ville de Paris [15]. Les mesures relatives aux lettres de voiture concernant le transport des marchandises vers la capitale revêtent une importance particulière. Elles sont, en effet, considérées comme applicables dans le reste du royaume [16]. Cette contribution présente donc l’encadrement juridique des lettres de voiture à travers ces mesures. Ces règlements sont, tout d’abord, relatifs à la police de la capitale. La prérogative d’établir des règlements en matière de police à Paris appartient au Roi et à trois juridictions qui sont : l’Hôtel de ville, le Châtelet et le Parlement [17]. Au xviiie siècle, Nicolas Delamare, notamment, dans son Traité de la police rapporte un certain nombre de textes comportant des règles de droit relatives aux lettres de voiture [18]. Il apparaît que celles-ci sont édictées par toutes les autorités en charge de la police de la capitale. Les mesures relatives aux lettres de voiture sont ainsi mises en place par des édits, ordonnances et déclarations du Roi, par des arrêts de règlement du parlement de Paris, par des ordonnances du lieutenant général de police du Châtelet et par des ordonnances de la Ville de Paris. Des dispositions relatives aux lettres de voiture se trouvent également dans des textes relatifs aux finances et notamment dans l’Ordonnance des aides de juin 1680 [19].
6. Ces textes montrent l’intérêt que le pouvoir royal porte à l’utilisation des lettres de voiture. En effet, aux xviie et xviiie siècles, les lettres de voiture sont utilisées pour la perception des péages [20] et des autres droits sur les marchandises comme les aides et les entrées [21]. Les lettres de voiture sont également employées par le pouvoir royal comme des instruments de contrôle du transport des marchandises. Ce contrôle permet d’assurer l’approvisionnement des populations des villes et notamment celui des habitants de Paris [22]. Il doit permettre au Roi de remplir son rôle de protecteur à l’égard de ses sujets [23]. Le contrôle du transport des marchandises participe à la politique dite mercantiliste mise en œuvre par le pouvoir monarchique. Conformément à celle-ci, la liberté du commerce ne peut s’exercer que dans un cadre règlementaire établi par l’Etat. Cet encadrement se justifie par l’antagonisme qui peut exister entre les intérêts des commerçants et ceux de l’Etat royal [24]. Le droit relatif aux lettres de voiture, qui servent à la fois les intérêts des commerçants et ceux de l’Etat royal [25], est susceptible de montrer cette divergence.
7. La satisfaction des différents intérêts, pour les parties au contrat de transport et pour le pouvoir monarchique, apparaît dans les normes relatives à la forme des lettres de voiture (I) et dans celles qui en déterminent le contenu (II).
I. La forme des lettres de voiture
8. Dans l’ancien droit français, les lettres de voiture se présentent comme des actes établis en plusieurs exemplaires (A) dont le pouvoir royal tente d’imposer le contrôle par les notaires ou des « personnes publiques » [26](B).
A. Un acte établi en plusieurs exemplaires
- Archives nationales (France), 1729, Z/1h/337, Bureau de la ville de Paris, lettre de voiture pour les vins
9. Au xviie et xviiie siècles, le nombre d’exemplaires de la lettre de voiture et l’identité des personnes en sa possession montrent que cet acte est susceptible de servir différents intérêts.
10. La lettre de voiture est, tout d’abord, un acte qu’ont en leur possession les parties au contrat de transport. Elle peut ainsi servir de preuve à chacun des contractants en cas de contestation sur le contenu de la convention. La lettre de voiture est établie par l’expéditeur des marchandises. Celui-ci peut donc en conserver une copie dans ses livres de commerce [27]. Si l’acte a été établi devant un notaire, celui-ci peut en conserver une copie dans ses minutes [28]. Un exemplaire de la lettre de voiture est envoyé au destinataire des marchandises. En effet, les modèles de lettres de voiture se terminent généralement par la clause « comme par avis » [29]. Cette clause indique que l’exemplaire remis au voiturier n’est qu’une copie de celui qui a été adressé au destinataire des marchandises [30]. Un troisième exemplaire de la lettre de voiture est remis au voiturier [31]. Cette lettre de voiture suit donc le trajet des marchandises jusqu’à leur lieu de destination. La rédaction de cet exemplaire de la lettre de voiture donné au voiturier est imposée dès le xvie siècle [32] et répétée dans de nombreux textes jusqu’au xviiie siècle [33].
11. En matière de police, tout d’abord, l’Édit de décembre 1672 concernant la juridiction du Prévôt des marchands et échevins de la Ville de Paris, notamment, généralise l’obligation d’établir une lettre de voiture pour toutes les marchandises transportées par bateaux [34]. Les lettres de voiture doivent être présentées par les voituriers aux officiers en charge du contrôle des marchandises, à leur arrivée à Paris [35]. En imposant la rédaction et la présentation de lettres de voiture, le pouvoir royal veut ainsi garantir que les marchandises acheminées à Paris sont bien celles qui ont été chargées au lieu d’expédition. L’objectif est d’éviter que les marchandises soient vendues avant leur arrivée dans la capitale. Les ventes de marchandises avant leur livraison à Paris peuvent, tout d’abord, nuire à l’approvisionnement des habitants de Paris de deux manières [36]. D’une part, ces ventes réduisent les quantités de marchandises proposées à la population parisienne. La garantie d’un approvisionnement en quantités suffisantes de marchandises pour les habitants de la capitale apparaît comme un motif de l’établissement des lettres de voiture dans un arrêt du parlement de Paris du 17 août 1665 relatif au transport du foin [37]. D’autre part, ces ventes faites en dehors de la capitale peuvent favoriser le renchérissement des marchandises. La rédaction et la vérification des lettres de voiture doivent notamment permettre d’empêcher la constitution de monopoles [38] comme le fait, par exemple, apparaître un arrêt du parlement de Paris du 5 juillet 1713 relatif au transport des salines [39]. Les lettres de voiture permettent également d’empêcher la regratterie, c’est-à-dire « le trafic des choses qu’on achète pour revendre » [40]. Cette pratique des regrattiers, favorable au renchérissement des marchandises, est notamment évoquée comme un motif à leur établissement dans un arrêt du Parlement sur la police du bois et du charbon du 10 juin 1633 [41].
12. Ensuite, ces ventes de marchandises faites avant leur arrivée dans la capitale peuvent amoindrir les droits du Roi [42]. L’Ordonnance des aides de juin 1680 dispose, donc, que le voiturier doit porter une lettre de voiture en matière de transport de vins [43], de poissons [44], de bois [45] ou encore de papier [46]. Jacques Jacquin relève que « cette obligation est un usage observé et autorisé… dans toutes les fermes pour toutes les marchandises sujettes aux droits » [47]. L’Ordonnance ajoute que les commerçants, qui assurent eux-mêmes le transport de leurs vins, doivent porter une déclaration « pour tenir lieu de lettres de voiture » [48]. La même mesure est édictée en ce qui concerne le transport du bois [49]. Les lettres de voiture sont également imposées pour le transport des marchandises de vins et de poissons qui passent debout [50] c’est-à-dire qui traversent Paris [51]. L’absence de lettre de voiture portée par le voiturier peut être sanctionnée par des confiscations et une peine d’amende [52]. La confiscation de la marchandise transportée, faute de lettres de voiture est notamment prononcée par la Cour des aides dans un arrêt du 27 janvier 1719, rapporté au Journal des audiences [53].
13. Un exemplaire de la lettre de voiture peut, enfin, être remis au commis de la Ferme. Ainsi, en matière de transport de vins, l’article IV de la Déclaration portant règlement sur le fait des aides du 1er mars 1656 impose que les lettres de voiture « soient expédiées doubles sur les lieux. Et que l’un desdits doubles soit laissé au Bureau de l’Entrée » [54]. Cette mesure est reprise par l’Ordonnance des aides de juin 1680 [55]. Elle a pour objectif de permettre aux commis de la Ferme de disposer d’une preuve du contenu de la lettre de voiture en cas de fraude [56]. Pour empêcher la falsification des lettres de voiture, l’Ordonnance précise que les deux exemplaires, celui remis au voiturier et celui laissé au commis de la Ferme, doivent être remplies d’une même main [57].
14. Le pouvoir royal prévoit également des sanctions en cas de falsification des lettres de voiture. L’Ordonnance des fermes du 22 juillet 1681, notamment, prévoit une condamnation au fouet, à un bannissement de cinq ans et à une peine d’amende pour une première falsification. En cas de récidive, une peine de galère et une amende correspondant à la moitié des biens du faussaire peuvent être prononcées [58]. En matière de police, la fabrication de fausses lettres de voiture qui peut permettre de dissimuler des méthodes spéculatives et notamment celle de la regratterie [59] est également sanctionnée. Une ordonnance de police du 9 août 1703 évoque, par exemple, la condamnation d’une marchande à une peine d’amende pour avoir utilisé une fausse lettre de voiture [60]. La volonté d’empêcher la falsification des lettres de voiture explique que le pouvoir royal ait également tenté tout au long de l’Ancien Régime d’imposer que les lettres de voiture soient passées sous forme d’actes authentiques [61].
B. Un acte devant être passé devant notaire ou une autre « personne publique »
15. Aux xviie et xviiie siècles, les lettres de voiture doivent, en principe, être passées devant une personne qui puisse garantir le caractère véritable de son contenu [62]. Généralement, les textes font référence à l’intervention d’un notaire ou d’un tabellion [63]. D’autres personnes peuvent néanmoins intervenir pour authentifier les lettres de voiture. Ainsi, certains textes font référence au personnel judiciaire. Par exemple, une ordonnance de police du 9 août 1703 évoque le rôle que peut occuper le juge en la matière [64]. La participation du greffier est également évoquée dans des textes de police [65] et dans l’Ordonnance des aides de juin 1680 [66]. L’intervention des commis de la Ferme peut, également, être requise pour authentifier les lettres de voiture. Le notaire ou le greffier, dans ce cas, n’interviennent que lorsque le commis du fermier n’est pas présent sur le lieu d’expédition de la marchandise [67]. L’intervention d’un curé et d’un vicaire est aussi évoquée dans une déclaration du 16 octobre 1708 relative au commerce du bois [68].
16. Cette obligation de rédiger la lettre de voiture devant une « personne publique » peut être assortie de sanctions. Celles-ci consistent principalement en une confiscation des marchandises et en une peine d’amende [69]. Elles sont prévues, par exemple, par l’Ordonnance des aides de juin 1680 en ce qui concerne le transport du vin [70] et sont mentionnées dans des textes de police relatifs au commerce du bois [71] et du foin [72]. Ces sanctions sont notamment mises en œuvre dans un arrêt de la Cour des aides du 23 août 1718 qui confirme une peine d’amende et une confiscation du vin transporté à Orléans avec une simple lettre de voiture sous seing privé [73]. Les textes présentent ces sanctions comme les conséquences de « la nullité » des lettres de voiture passées sous seing privé [74].
17. L’établissement de lettres de voiture devant une personne publique et notamment devant un notaire apparaît comme contraignant pour les commerçants [75]. Ceux-ci font notamment valoir que le recours à un notaire peut gêner le transport des marchandises. Cet inconvénient est notamment mis en avant par les marchands d’Orléans dans le conflit qui les oppose au Fermier des aides au début des années 1690 [76]. En 1689, la Cour des aides, à la demande du Fermier, a adopté un arrêt de règlement qui impose aux habitants d’Orléans de rédiger des lettres de voiture sous forme notariée pour les marchandises qu’ils font transporter dans la ville « sous les peines portées par les ordonnances », notamment celle de la confiscation [77]. Cette mesure a pour objectif d’empêcher les fraudes commises par les marchands forains. En effet, ceux-ci avec l’accord de certains habitants d’Orléans fabriquent de fausses lettres de voiture. Il est indiqué sur ces lettres l’identité d’un orléanais en tant que destinataire de la marchandise et non celle du marchand forain [78]. Cette falsification permet aux commerçants étrangers à la ville de pouvoir bénéficier du privilège des habitants d’Orléans qui ne sont pas soumis au paiement du droit de gros et de sol [79]. Malgré l’arrêt de la Cour des aides, les commerçants d’Orléans continuent de rédiger leurs lettres de voiture sous seing privé. Les marchandises ainsi transportées font l’objet de saisies de la part du Fermier [80]. Les commerçants d’Orléans contestent ces mesures devant la juridiction municipale qui ordonne la mainlevée des saisies en 1691 [81]. Le Fermier fait appel de cette décision devant la Cour des aides en mettant en avant, notamment, que la rédaction de lettres de voiture sous forme notariée est ordonnée par l’Ordonnance des aides de juin 1680. Selon lui, cette mesure devrait « avoir lieu pour toutes les villes du royaume » [82]. Les marchands d’Orléans le contestent et mettent en avant les inconvénients liés à la rédaction des lettres de voiture sous forme notariée. Le recours à un notaire nécessite, en effet, selon eux, un déplacement des commerçants. Celui-ci retarde le départ des marchandises, ce qui peut se révéler préjudiciable en matière de transport fluvial notamment en cas de changement des conditions météorologiques [83]. Comme le souligne l’Avocat général Bignon : « dans cette cause, d’un côté il s’agissait de pourvoir à la sûreté des droits du Roi, et de l’autre à la facilité du commerce. » [84] La Cour des aides, dans son arrêt du 29 août 1691, garantit les droits du Roi tout en facilitant l’authentification de la lettre de voiture en permettant aux commerçants d’avoir recours « au curé, vicaire ou greffier du lieu » [85].
18. Les auteurs de l’ancien droit français mettent en avant une persistance de la pratique de la rédaction des lettres de voiture sous seing privé. Certains fermiers généraux semblent avoir toléré et même s’être vu imposer cet usage comme le montre une affaire qui a donné lieu à un arrêt rendu par la Cour des aides le 14 mai 1716 [86]. Dans cette affaire, un marchand de Dijon avait lui-même transporté du vin à Paris muni d’une simple lettre de voiture sous signature privée. Le Fermier général des aides et gabelles, conformément à l’Ordonnance des aides de juin 1680, ordonne une saisie de la marchandise et des moyens de transport utilisés. Le commerçant conteste cette confiscation et porte l’affaire devant l’élection de Paris. Il souhaite obtenir la restitution des biens saisis mais également des dommages et intérêts. Pour justifier sa demande le marchand met en avant qu’en Bourgogne, il existe un usage selon lequel les lettres de voiture pour le transport du vin sont passées sous signature privée. La forme notariée des lettres de voiture, imposée par l’Ordonnance des aides de juin 1680, n’y est pas mise en œuvre [87]. Cette pratique a été jusqu’alors tolérée par le Fermier général [88]. Les juges de l’élection de Paris se prononcent en faveur du commerçant sans toutefois lui accorder les dommages et intérêts demandés [89]. Le Fermier général pour obtenir le maintien de la saisie et le marchand pour l’attribution de dommages et intérêts font appel de cette décision devant la Cour des aides. Cette juridiction rend un arrêt par lequel elle confirme la main levée de la saisie et attribue au marchand des dommages et intérêts [90]. La Cour des aides reconnaît ainsi l’usage des lettres sous seing privé. Cette affaire donne néanmoins lieu à un règlement dans lequel les dispositions de l’Ordonnance des aides de juin 1680 sont rappelées. Une publication de l’arrêt dans les différentes élections du ressort de la Cour des aides est également ordonnée [91]. Jean Paganucci, au xviiie siècle, relève qu’en matière de rédaction des lettres de voiture : « L’usage a néanmoins prévalu » [92].
19. La forme des lettres de voiture fait apparaître l’antagonisme qui existe entre les intérêts du pouvoir royal, qui souhaite imposer une authentification de ces actes, d’une part et ceux des commerçants qui semblent plutôt favorables à l’établissement d’actes sous seing privé, d’autre part. Les lettres de voiture, qu’elles soient notariées ou établies sous seing privé indiquent les principales dispositions du contrat de transport. Leur contenu fait également l’objet dans l’ancien droit français de mesures fixées par le pouvoir royal.
II. Le contenu de la lettre de voiture
20. Les modèles de lettres de voiture proposés par les auteurs de droit commercial présentent des clauses de style dont la plupart sont imposées par le pouvoir royal. Ces dispositions sont relatives aux parties au contrat de transport (A), aux marchandises (B), à leur livraison (C), et au paiement des sommes dues au voiturier (D).
A. Les clauses relatives aux parties au contrat de transport
21. Tout d’abord, les modèles de lettres de voiture, proposés par les auteurs de droit commercial [93], comportent l’indication de l’identité de l’expéditeur des marchandises. Celui-ci peut être soit le vendeur des marchandises lui-même, soit un commissionnaire de transport [94]. Ces lettres de voiture types contiennent également une clause relative à l’identité du destinataire des marchandises. Les mentions du nom et de la demeure de l’expéditeur et du destinataire présentent un intérêt pour les parties au contrat de transport elles-mêmes comme preuve de leur identité en cas de conflit. Elles sont également utiles pour l’Etat royal car le manque d’informations sur ces parties au contrat de transport ou de fausses identités peuvent dissimuler des fraudes [95]. Ces indications sont donc imposées par l’Ordonnance des aides de juin 1680 en matière de transport de poissons [96]. Elles sont également obligatoires en matière de transport de vins [97], sous peine de confiscation des marchandises et d’amende [98]. Les lettres de voiture doivent, en outre, être signées par l’expéditeur des marchandises selon une Déclaration du Roi du 24 mars 1705 relative au sol pour livre [99]. Si plusieurs commerçants sont destinataires des marchandises, l’identité de chacun d’entre eux doit être indiquée sur la lettre de voiture. L’utilisation du terme « et compagnie » pour les désigner est interdite [100]. L’indication de l’identité de l’auteur de la lettre de voiture et de celle de son destinataire sont aussi ordonnées par plusieurs textes relatifs à la police du foin [101], du bois et du charbon [102] et des salines [103]. Des sanctions de confiscation des marchandises et d’amende sont prévues en matière de transport de salines par un arrêt du Parlement du 5 juillet 1713 [104].
22. Ensuite, les modèles de lettres de voiture indiquent également l’identité du voiturier. Cette mention ne semble pas avoir été imposée par les mesures de police. Elle n’est pas non plus ordonnée par l’Ordonnance des aides de juin 1680. En matière de transport de vin, un arrêt de la Cour des aides du 21 mars 1732 enjoint, néanmoins, aux notaires de faire signer les lettres de voiture par les voituriers et au cas où ceux-ci ne sauraient pas signer d’en faire mention sur l’acte [105]. En pratique, les auteurs de droit commercial soulignent que contrairement aux « connoissemens », les lettres de voiture ne portent pas la signature du voiturier [106]. A la fin du xviie siècle, Le Moine de l’Espine met en avant que la pratique du commerce maritime devrait, selon lui, être adoptée en matière de transport terrestre et fluvial [107]. Cette proposition est également mise en avant à la fin du xviiie siècle dans une note parue à la Gazette du commerce du 4 juillet 1775 [108]. L’auteur de cette note souligne les inconvénients liés à l’absence de signature des lettres de voiture par le voiturier. Il met en avant que cette pratique pose certains problèmes en matière de preuve, notamment lorsque le commerçant destinataire veut faire reconnaître la responsabilité du voiturier pour dégradation ou perte des marchandises transportées. Selon lui, le voiturier, n’ayant pas signé la lettre de voiture, est en mesure et parfois « avec raison » de contester avoir chargé les marchandises faisant l’objet du litige. L’établissement de la preuve du chargement des marchandises peut ainsi rendre la procédure plus longue et plus onéreuse [109]. Selon l’auteur de la note, il conviendrait d’ajouter à la lettre de voiture une clause supplémentaire relative à la responsabilité du voiturier que celui-ci reconnaîtrait par l’apposition de sa signature ou en imposant sa marque [110]. Les lettres de voitures comportent également certaines indications sur les marchandises transportées.
B. Les clauses relatives aux marchandises
23. Les lettres de voiture sont présentées par certains auteurs de l’ancien droit français comme les actes qui permettent, principalement de connaître l’état des marchandises transportées [111]. Cette description est établie par une clause de style qui mentionne la quantité et la qualité des marchandises transportées [112]. Grâce à ces indications, les lettres de voiture peuvent servir aux contractants de preuve de l’état des marchandises transportées. Ainsi, une lettre de voiture peut, par exemple, comme le relève Danty, être utilisée par le voiturier pour prouver l’état des marchandises qui lui ont été confiées et qui auraient été volées dans une hôtellerie [113]. L’indication de la quantité et celle de la qualité des marchandises sur les lettres de voiture est également importante pour le contrôle qu’exerce le pouvoir royal en matière de transport des marchandises. En matière de police, elles permettent de contrôler le bon approvisionnement de la ville et sont imposées par l’Édit de décembre 1672 concernant la juridiction du Prévôt des marchands et échevins de la Ville de Paris [114] et par plusieurs textes de police en matière de transport de bois et du charbon [115], de salines [116] et de foin [117]. Pour garantir la perception des droits du Roi, cette description est également considérée comme obligatoire selon des dispositions de l’Ordonnance des aides de juin 1680 relatives au transport du vin et de poissons [118]. Elle est également imposée par la Déclaration du Roi du 24 mars 1705 relative au sol pour livre [119]. En matière de transport de vin, l’Ordonnance des aides de juin 1680 précise que les éventuels déchargements de marchandises doivent être mentionnés par les commis des fermes dans la lettre de voiture [120]. L’obligation d’indiquer sur la lettre de voiture la quantité et la qualité des marchandises transportées est assortie de sanctions. En matière de transport de vins, notamment, l’Ordonnance des aides de juin 1680 précise que les marchandises qui n’ont pas été décrites dans la lettre de voiture doivent faire l’objet d’une confiscation [121].
24. Dans les modèles de lettres de voiture, les marchandises transportées ne sont pas seulement décrites par la mention de leur quantité et de leur qualité. Généralement, les marchandises font l’objet d’une marque qui est reportée en marge de l’acte [122]. Ainsi, le commerçant qui reçoit les marchandises peut être assuré que ce sont celles qui ont été chargées au lieu d’expédition [123]. L’Ordonnance des aides de juin 1680 impose la mention de la marque « du marchand auquel il sera adressé » sur les lettres de voiture en matière de transport de poissons [124]. Selon Jacques Jacquin, cette mesure a pour objectif de garantir le caractère véritable de la lettre de voiture et de faciliter la vérification des marchandises à leur lieu de destination [125].
25. Les modèles de lettres de voiture comportent également une disposition relative au conditionnement des marchandises. En effet, une clause de style de ces actes précise que les marchandises transportées doivent être « bien conditionnées » [126] ou « bien et dûment conditionnées » [127]. Cette clause détermine le contenu de l’obligation de conservation des marchandises qui est à la charge du voiturier. En effet, celui-ci doit livrer les marchandises dans le même état qu’elles lui ont été confiées c’est-à-dire comme le soulignent les auteurs « saines et entières, sans être gâtées ni mouillées » [128]. La clause « bien [et dûment] conditionnées » signifie, tout d’abord, que le voiturier doit prendre des précautions pour que les marchandises ne se brisent pas pendant le transport. Il doit notamment ne pas laisser de vide entre elles et procéder à leur arrimage [129]. Il doit ensuite protéger les marchandises des éventuelles intempéries. Il doit pour cela recouvrir les marchandises de paille ou de toiles [130] ou de « semblables choses selon leur coutume » comme le précise Desaguliers [131]. La rédaction de cette disposition relative au conditionnement des marchandises n’apparaît pas comme une mesure imposée par le pouvoir royal. Les clauses relatives à la livraison des marchandises transportées font, elles, l’objet de règlements.
C. Les clauses relatives à la livraison des marchandises
26. Tout d’abord, l’indication dans les lettres de voiture des lieux d’expédition et de livraison des marchandises transportées apparaît comme une mesure obligatoire dans plusieurs textes de police. Ainsi, plusieurs textes relatifs au transport du bois et du charbon [132] et l’Édit de décembre 1672 concernant la juridiction du Prévôt des marchands et échevins de la Ville de Paris [133] mentionnent cette obligation. Une déclaration du 16 octobre 1708 relative au commerce du bois impose, elle, la mention du lieu de destination [134]. L’indication du lieu d’expédition sur la lettre de voiture participe au contrôle qu’entend établir le pouvoir royal dans l’approvisionnement de Paris. Certaines catégories de marchandises ne peuvent pas être expédiées depuis les régions voisines de la capitale. Ainsi, la vente directe par des producteurs locaux qui se déplacent à Paris est favorisée [135]. Les commerçants doivent, eux, se fournir dans des régions plus éloignées de la capitale. Cette mesure doit permettre d’augmenter les quantités de marchandises qui sont proposées à la population parisienne. Les lettres de voiture qui doivent indiquer le lieu d’expédition permettent donc une vérification du respect de cette obligation. La mention du lieu de destination, quant à elle, est utile pour vérifier que les marchandises qui doivent être vendues à Paris ont bien été acheminées jusqu’à cette ville et qu’elles n’ont pas fait l’objet de vente avant leur arrivée dans la capitale [136]. L’obligation de mentionner sur la lettre de voiture les lieux d’expédition et de livraison peut faire l’objet de sanctions comme le montre une déclaration du 16 octobre 1708 relative au commerce du bois. Celle-ci prévoit que l’absence de dispositions relatives à ces lieux peut être sanctionnée de confiscations et d’une peine d’amende [137].
27. Ensuite, les mentions sur les lettres de voiture des lieux d’expédition et de livraison sont également imposées par l’Ordonnance des aides de juin 1680 notamment en matière de transport de vin [138]. Cette mesure est assortie de sanctions de confiscation et du paiement d’une amende [139] qui selon un arrêt du Conseil d’Etat du 2 mars 1723 sont considérées, elles aussi, comme les conséquences de la nullité des lettres de voiture [140]. L’indication de ces lieux a pour objectif d’éviter la fraude aux droits du Roi notamment par des changements de destination ou dans l’itinéraire suivi par le voiturier [141].
28. L’indication des lieux d’expédition et de livraison des marchandises sur les lettres de voiture peut également présenter un intérêt pour les parties au contrat de transport. En effet, cet acte peut permettre aux commerçants de prouver qu’ils ne sont pas soumis au paiement de certains droits. Ainsi, dans une affaire jugée par le parlement de Paris, le 4 juillet 1705 [142], une lettre de voiture permet à un marchand de charbon de ne pas payer les droits réclamés par les porteurs de charbon pour le transport de marchandises à Charenton. Ces officiers, conformément à un édit du mois de mars 1703, sont autorisés à prélever un droit sur le charbon qui arrive et est vendu à Paris [143]. En 1704, ce droit est étendu au charbon entrant dans les faubourgs et banlieue de Paris. La lettre de voiture grâce à l’indication des lieux d’expédition et de livraison du charbon permet de prouver que la marchandise n’a fait que passer par Paris et que les droits ne sont donc pas dus aux porteurs de charbon [144].
29. L’indication du lieu d’expédition et du lieu de livraison est également utile au calcul de la durée du transport et donc de la détermination du délai de livraison des marchandises. Plusieurs clauses type sont employées dans les modèles de lettres de voiture pour déterminer le délai de livraison des marchandises [145]. La lettre peut indiquer un délai de livraison « à jour nommé ». Cette clause indiquant une date précise apparaît particulièrement utile, comme le soulignent les auteurs, lorsque les marchandises doivent être livrées pour un évènement commercial comme par exemple une foire [146]. Savary des Bruslons relève que cette précision de la date de livraison permet également d’éviter les éventuels conflits sur la durée du trajet [147]. Lorsque la lettre de voiture comporte une clause de livraison à jour nommé, le voiturier est tenu de respecter la date de livraison sous peine de sanction qui consiste en une réduction du prix de la voiture [148] qui peut être précisée dans la lettre de voiture [149]. Ainsi, Thomas de Bléville souligne que le voiturier en cas de retard peut perdre jusqu’à la moitié du prix de la voiture [150]. La même sanction est mentionnée par Mathieu de La Porte qui ajoute que la réduction du prix de la voiture relève de la liberté contractuelle des parties [151]. En contrepartie, le prix de voiture est plus élevé lorsque le contrat de transport est établi à jour nommé [152]. La lettre de voiture peut également mentionner que les marchandises seront « reçues en temps dû » [153], c’est-à-dire sans qu’aucune date de livraison n’ait été fixée. Elles indiquent alors seulement la date du départ [154]. Le délai est alors déterminé en fonction de la distance à parcourir [155]. Par exemple, la durée d’un transport de marchandises entre Orléans et Paris est estimée à trois jours [156].
30. La date d’expédition des marchandises mentionnée par les modèles de lettres de voiture peut être très utile aux contractants. Elle est, notamment, mise en avant par le commerçant de charbon dans l’affaire jugée par le parlement de Paris le 4 juillet 1705 [157]. La lettre de voiture établie par le commerçant devant notaires est en date du 4 octobre 1703. Elle permet donc dans cette affaire de faire constater par les juges que le transport des marchandises a été effectué avant l’extension de ce droit aux faubourgs et banlieue de Paris effectuée en avril 1704. La détermination du délai de livraison des marchandises est un élément qui fait apparaître les intérêts antagonistes des parties au contrat de transport [158]. Les commerçants destinataires ont intérêt à ce que les marchandises leur soient livrées le plus rapidement possible, pour éviter notamment que les marchandises subissent des dégradations. Les voituriers ont, au contraire, intérêt à ce que les délais de livraison soient les plus longs possibles notamment pour pouvoir marquer des arrêts et effectuer des chargements et déchargements intermédiaires dans le but de rentabiliser le transport. Desaguiliers relève qu’en pratique ces arrêts sont fréquents [159]. Le pouvoir royal dans l’objectif d’approvisionnement de la capitale se montre plutôt favorable aux intérêts des commerçants destinataires. Il rend obligatoire l’indication de la date de départ [160]. Il interdit aux voituriers de marquer des arrêts sur le trajet du transport des marchandises [161]. Les modèles de lettres de voiture se concluent par une clause relative au paiement du voiturier.
D. Les clauses relatives au paiement des sommes dues au voiturier
31. Les modèles de lettres de voiture comportent, tout d’abord, une clause relative à la somme qui doit être versée au voiturier pour le transport effectué [162]. Le prix de voiture est dû par le commerçant destinataire des marchandises [163]. Cette rémunération est librement déterminée par les parties au contrat de transport [164]. Les auteurs de droit commercial relèvent, à ce propos, que le commissionnaire de transport doit négocier un prix de voiture favorable pour son commettant [165]. Jean Paganucci indique que le paiement de ce prix peut être effectué auprès du voiturier par le commerçant à la remise des marchandises [166]. Il peut, également, être payé au voiturier par son commissionnaire. Dans ce cas, le commissionnaire du voiturier qui aura fait l’avance de cette rémunération peut être remboursé de cette dépense par le marchand en lui présentant la lettre de voiture [167]. A défaut de paiement de cette rétribution, le voiturier peut demander la vente de la marchandise pour obtenir son dû [168].
32. Les lettres de voiture n’apparaissent pas, dans l’ancien droit français, comme des documents qui permettent simplement de constater cette rémunération. Elles semblent être considérées, aux xviie et xviiie siècles, comme les actes qui permettent au voiturier d’obtenir la rétribution pour le transport qu’il a effectué [169]. En effet, l’Édit de décembre 1672 concernant la juridiction du Prévôt des marchands et échevins de la Ville de Paris impose l’indication du prix sur la lettre de voiture [170] et conditionne l’obtention de la rémunération du voiturier à son établissement [171]. Le voiturier se voit ainsi pour son propre intérêt fortement encouragé à porter une lettre de voiture. Cette mesure semble renforcer le caractère obligatoire de cet acte. L’article VIII du chapitre II prévoit cependant que le voiturier peut obtenir un paiement du prix de voiture s’il est en mesure de prouver qu’il a adressé une sommation à l’expéditeur pour la rédaction d’une lettre de voiture [172].
33. Ensuite, les lettres de voiture doivent également préciser le montant des droits dont le voiturier se serait acquitté [173]. Ces mentions relatives au paiement du voiturier doivent selon Jean Paganucci faire l’objet d’une attention particulière. Le montant des sommes dues au voiturier doit, en effet, selon cet auteur, être indiqué en toutes lettres [174].
Conclusion
34. Aux xviie et xviiie siècles, les lettres de voiture apparaissent comme des actes pouvant être utiles à la fois aux parties au contrat de transport et à l’Etat royal. Néanmoins, les intérêts des commerçants ne correspondent pas nécessairement à ceux de la Monarchie. La facilité du commerce, souhaitée par les marchands peut s’opposer au contrôle du transport mis en place par l’Etat royal dans le cadre de sa politique dite « mercantiliste ».
35. Cette divergence tend à être réduite avec les réformes libérales mises en œuvre par la monarchie française en matière de commerce de grains dans la deuxième moitié du xviiie siècle [175]. Dans les années 1760, sont ainsi mis en place une Déclaration du 25 mai 1763, relative à la libre circulation des grains à l’intérieur du royaume [176] et un édit de juillet 1764 concernant leurs exportation et importation [177]. Ces réformes sont rapidement remises en cause notamment en raison de mauvaises récoltes [178]. De nouvelles mesures libérales sont adoptées sous le ministère de Turgot, contrôleur général des finances d’août 1774 à mai 1776 [179]. Ces réformes visent à résoudre le problème des disparités entre les provinces du royaume où les récoltes ont été abondantes et celles où elles ont été insuffisantes. La solution à cette difficulté consiste, selon Turgot, à laisser faire les marchands. Ceux-ci, par intérêt financier, iront vendre les grains dans les localités où ils sont les plus rares et donc les plus chers et résoudront ainsi les problèmes d’approvisionnement. Il faut donc, pour Turgot, libérer la circulation des grains, supprimer les mesures de contrôle du transport de ces marchandises [180]. Cette volonté de libéralisation du commerce est notamment mise en œuvre dans la Déclaration du 5 février 1776, relative à la suppression des droits notamment sur les blés et farines [181]. Dans le préambule de ce texte, le contrôle du transport est considéré comme une entrave au bon approvisionnement des habitants de Paris [182]. Les lettres de voiture, en tant qu’instruments de ce contrôle, font l’objet d’une remise en cause dans ce texte [183]. Celui-ci supprime l’obligation d’établir une lettre de voiture pour le transport des grains vers la capitale [184]. Par cette libéralisation, la politique royale satisfait les intérêts des commerçants qui, selon la déclaration cessent d’être « traités comme des ennemis qu’il fallait vexer dans leur route, et charger de chaînes à leur arrivée. » [185] En matière de commerce des grains, la lettre de voiture cesse ainsi d’être utilisée comme un instrument de contrôle du transport. Elle ne remplit plus, pour ce commerce, qu’un rôle contractuel qui est celui de déterminer les obligations des parties à la convention de transport.
36. En ce qui concerne ces obligations, celle qui incombe aux voituriers de conserver les marchandises fait l’objet de dispositions dans le Code civil de 1804. L’article 1784 établit à l’égard des voituriers une présomption de faute en cas de perte ou d’avaries de la chose transportée. Dans ce cas, seule la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure peut permettre de renverser cette présomption [186].
Céline Drand
Université de Strasbourg
celine.drand unistra.fr