Et les Français pourquoi étaient-ils si bien reçus partout où ils ont débarqué ? Pourquoi trouvèrent-ils autant de soutien chez les Indigènes ? Pour deux raisons : non seulement parce que leur caractère sympathise facilement avec celui de tous les autres peuples, mais parce qu’ils traitaient avec les Indigènes d’égal à égal ; ils voulaient des amis plutôt que des esclaves, ils pratiquaient le commerce plutôt que l’esclavage. Voilà toute leur diplomatie avec les Indiens [1].
1. C’est dans ces termes que l’écrivain brésilien Gonçalves Dias s’exprime dans la première édition du magazine Guanabara, en 1849, pour rendre compte de l’argument de la violence de la colonisation portugaise exercée contre les Indiens au travers du topos de la sympathie et de l’amitié des Français. Au sein de l’indianisme romantique que le magazine a tellement propulsé, ces termes témoignent sans aucun doute de la tension, omniprésente dans la littérature brésilienne naissante, entre la figure d’un « Indien historique », que l’on peut découvrir à travers les résidus textuels coloniaux, et un « Indien contemporain », passible d’être connu, mais menacé de se désintégrer par la soumission à trois siècles de destruction. La nationalisation de la première, de par sa pureté et sa distance idéalisable, « lisibles » dans un corpus de récits français du xvie et du xviie siècle, la situait précisément plus près des origines, faisant couler beaucoup d’encre parmi les écrivains romantiques.
2. Au xxe siècle, bien loin de cette conception romantique et très proche de la mise en place d’une critique historique de la colonisation portugaise, l’historien brésilien Sérgio Buarque de Holanda rappelle, à son tour, le « réalisme sobre et désabusé » qui marque les écrits portugais de l’époque coloniale, partant du contrepoint « d’une tendance qui se répand progressivement dans le Vieux Monde avec un Las Casas ou un Jean de Léry ». Cette observation est complétée par une note érudite, où l’historien remonte aux théories de l’Antiquité alignées à l’idée de la bonté naturelle et au « mythe du noble et bon Sauvage » pour soutenir l’hypothèse que, « sur les résidus de ce fonds archaïque ou peut-être indépendamment d’eux », au xvie siècle s’était implantée
l’idéalisation des peuples primitifs, notamment par certains écrivains français tels que Montaigne, inspirés à leur tour par les récits sur les indigènes de la France Antarctique, faits par des voyageurs, notamment par Jean de Léry [2].
3. Il y a certes une nette continuité dans l’éloge des relations d’amitié franco-tupi, dont l’événement symbolique est la « Fête brésilienne », avec la participation des Indiens amenés du Brésil, représentée dans les livrets de l’entrée royale d’Henri II, en 1550, à Rouen [3]. Nous savons, avec Patricia Dickason et Frank Lestringant, que des manifestations comme celles-ci reposaient sur le phénomène de pénétration des Français dans le tissu social indigène, appelé « endotisme » [4]. La présence d’interprètes français, les truchements, vivant parmi les Indiens, au moins jusqu’aux premières décennies du xviie siècle, a configuré une modalité de relation sociale basée sur l’alliance amicale à des fins de troc, ce qui a soutenu, au-delà de ces manifestations, le projet politico-économique des deux tentatives françaises d’établissement colonial, la France Antarctique en 1555, et la France Equinoxiale, un demi-siècle plus tard, en 1612.
4. Dans le corpus français des récits issus de ces deux expériences coloniales, trois livres sont d’une importance capitale en ce qui concerne plus précisément les modalités de relation avec les Tupinamba, qui portent la marque indélébile de « l’alliance amicale franco-tupi ». Ils constituent une véritable « lignée » de récits auxquels on peut appliquer une réflexion archéologique sur les représentations de l’Indien, dans la France du xvie et du début du xviie siècle : Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, de Jean de Léry (première édition 1578) ; Histoire de la mission des Pères Capucins en l’Isle de Maragnan, du Père Claude d’Abbeville (1614) et Suitte de l’histoire des choses mémorables advenues à Maragnan és annees 1613 et 1614, du Père Yves d’Évreux (1615) [5].
5. Dans Histoire d’un voyage faict en terre du Brésil, la position anti-catholique et anticolonialiste de Jean de Léry s’est rajoutée à la thèse de l’inconvertibilité des Indiens – avec lesquels il avait vécu près d’un an à Rio de Janeiro –, basée sur la supposition de leur origine chamite, qui les excluait, dans la perspective calviniste qui était la sienne, de la possibilité du salut. Cependant, au sein de ce pessimisme dogmatique, l’argument de la malédiction chamitique impliquait aussi, sous la plume de Léry, le besoin de « protection de l’intégrité physique » du Tupinamba, exprimé dans ce qui fut considéré a posteriori comme la « sympathie » et la « générosité du regard » du huguenot. Frank Lestringant soutient que cela aurait abouti à « l’invention du Sauvage », entre « théologie et ethnographie » [6]. Cette même « ouverture à l’autre », identifiable dans les dispositifs narratifs du récit, a fait que l’écriture de Jean de Léry a été considérée par Michel de Certeau comme une « ethno-graphie », avant l’émergence de la discipline au xixe siècle [7].
6. Au sein d’un véritable « héritage lettré », cinquante ans plus tard, les récits des capucins Claude d’Abbeville et Yves d’Évreux, missionnaires envoyés à la France Equinoxiale, en 1612, cette « ethno-graphie » ressurgit, inséparable cette fois-ci d’une théologie assurément salvifique. Les capucins étaient, de ce fait, les représentants des tendances de la théologie missionnaire de l’époque, qui prêchaient l’usage exclusif de la persuasion douce. C’est précisément dans un cadre d’apologie de la « prédication douce » – et, par extension, de la colonisation non violente – que la condamnation par Claude d’Abbeville des cruautés commises par les Portugais contre les Indiens doit être comprise. Dans ce modèle pastoral – considéré comme « moderne » dans l’historiographie religieuse – la douceur prêchée par les capucins est aussi le fruit d’une lusophobie impliquée dans le système d’alliances avec les Indiens.
7. En tout cas, l’usage de la douceur comme méthode évangélique a introduit des traits spécifiques dans le mode de conversion des Indiens de Maragnan, puisque sa logique de fonctionnement repose sur la conscience supposée des futurs convertis, essentielle dans le processus d’instruction des catéchumènes par les missionnaires.
8. Les trois piliers qui établissent les conditions de la relation entre les Français et les Tupinamba dans les récits des capucins – l’« héritage lettré » des relations amicales franco-tupi ; les dispositifs d’écriture des récits français, qui mobilisent les topoi de l’autopsie fondée sur une « etno-graphie » ; et la prédication douce – sont manifestes dans un passage remarquable du récit de Claude d’Abbeville sur les coutumes indigènes de se percer la lèvre, de s’arracher la barbe et de peindre le corps. Après avoir prêché dans le sens de « persuader [les Indiens] de quitter leurs façons », le Père Claude conclut :
C’est une chose admirable que leur parlant ainsi doucement et amiablement, leur faisant voir par le menu que ce qu’ils avoient accoustumé n’estoit pas bien, cela leur faisaient rentrer en eux mesmes. Tellement qu’attirez par la douceur et convaincus par la raison, ils reconneurent à l’instant la vérité & tirerent eux mesmes cette conclusion, nous disant en leur langage Aié catou, Toupan remimognen iémogan motar ypotar eum mé noroyco chuéne sese. Tu dis vray, Dieu eust faict cela s’il eust esté necessaire, puis donc qu’il ne le veut point, nous ne le ferons plus [8].
9. Les Tupinamba sont ainsi dotés de parole dans les récits des capucins : pleinement convertibles, guidés par la raison, obéissants et constants. Il s’agit de la représentation du Sauvage convertible, qui a probablement préfiguré le mythe de la bonté originelle de l’Indien dans la France du xviiie siècle [9]. Il est possible d’ajouter à cette archéologie des représentations « positives » de l’Indien, une réflexion sur l’expérience mystique de la mission capucine, tout en considérant, une fois de plus, la supposée « ouverture à l’autre » que les discours français véhiculent comme um dispositif narratif particulier, doté d’un sens mystique et politique vraisemblable à lépoque.
10. En effet, les récits des capucins ont produit une représentation de l’union franco-tupi sous la forme d’une utopie. C’est précisément ce que le Seigneur des Vaux proclame au nom des lieutenants du roi de France, dans une harangue en langue tupi dans laquelle la « bonne volonté » des Indiens de « se soumettre à la domination » française et de recevoir les lois « saintes, justes et propres » à la préservation et à l’augmentation de la « prospérité du pays » est affirmée [10]. Les fruits de cette communauté chrétienne sont projetés dans la réponse du chef Japy Ouassou, reproduite cette fois-ci à la troisième personne par Claude d’Abbeville : le Principal de toute l’île de Maragnan déclare à l’occasion qu’il avait toujours été
amy des François […], les ayans reconneu d’une conversation beaucoup plus agreable & aymable que les Pero [Portugais], & autres, & qu’ils avoit toujours desiré pour se mettre en leur obeissance & protection […] pour ne faire qu’une mesme nation de la Françoise & de la leur, comme ils avoient tant de fois desiré […] [11].
11. D’autres discours d’Indiens comme celui-ci, en raison de cet « effet d’utopie », ont probablement prédisposé les interprétations « positives » des relations franco-tupi, dans les réceptions successives de ces récits. Ils ont fait écho, visiblement, jusqu’au xixe siècle, dans les termes que Gonçalves Dias employait pour caractériser la « diplomatie » française avec les Indiens ; et encore, au xxe siècle, dans l’histoire critique de Sérgio Buarque de Holanda, et davantage sur le répertoire de fondation de l’Ethnologie [12].
I.
12. La permanence du lieu commun de la sympathie comme marque relationnelle des Français avec les Indiens dans ces appropriations tardives est assurée par la manière dont les codes relationnels franco-tupi sont expressément inscrits dans l’ordre du discours. Commandés par des critères théologico-politiques divers, calvinistes ou catholiques, deux dispositifs lettrés sont à l’œuvre dans le corpus de récits français sur le Brésil : l’inscription de l’« oralité indigène » dans le texte à travers la transcription des harangues et des dialogues, en tupi et en français ; et l’excellence de l’usage des techniques descriptives (hypotipose, énargeia), comme des artifices producteurs de vivacité visuelle qui accélèrent « l’effet de réalité » [13].
13. Un exemple de l’usage de ces dispositifs se trouve dans la transcrition par le père Yves d’Évreux de la parole indigène. Elle remplit parfaitement la fonction théologico-politique majeure d’intégrer le Sauvage dans l’histoire eschatologique de l’humanité.
14. Les derniers chapitres de son livre contiennent toute une série de « conférences » que le père Yves a entretenues avec les Principaux des tribus locales. C’est le cas de Pacamont, considéré comme « le plus grand et le plus authorisé entre tous les Principaux de […] Maragnan », qui est allé volontairement à la rencontre du père Yves, au fort de Saint Louis, poussé par le désir d’« expérimenter ce que [les Français] demandaient » aux Indiens. Décrit par le Capucin comme un « très-subtil sorcier », il est arrivé accompagné de la plus forte de ses femmes – qui n’étaient « pas moins de trente » – et d’Indiens parés de plumes [14]. Dans une première conversation avec le Capucin, Pacamont reconstruit d’emblée la cosmogonie chrétienne, dans des termes qui actualisent la conception providentielle de l’histoire et qui supposent l’inclusion des Indiens eux-mêmes dans la perspective salvifique :
J’ai esté curieux de hanter les François et de les ouyr. Je sais de mes ayeulx l’histoire de Noé […] Noé fut notre Pere à tous. Je scay aussi que Marie a esté Mere du Toupan, & qu’elle n’a esté connue d’aucun homme, mais Dieu luy-même s’est faict un corps en son ventre. Et comme il fut grand, il envoya des Maratas, des Apostres, par tout : nos Peres en ont eu un, dont nous avons encore des vestiges [15].
15. Ainsi, de par son propre discours, l’Indien chrétien deviendra le signe exemplaire de la Providence divine, orientée vers le mystère du salut de l’homme. Il n’est pas surprennant de voir que, lors de sa deuxième visite chez le Capucin quelques jours plus tard, Pacamont se montre, selon le père Yves, « […] fort modeste, accompagné de peu de gens, sans avoir tant de plumacerie […] » [16].
16. Ces descriptions du changement de la complexion physique et de la disposition morale des Indiens accentuent l’effet de coupure temporelle – d’un passé de trêves à un avenir potentiellement français –, par le recours aux techniques ekphrasiques, d’après les topoï de personne appliqués selon l’opposition entre le beau et le laid, le bon et le mauvais, etc. [17].
17. Cette « ethno-graphie de la similitude » capucine, tout comme l’ensemble des pratiques lettrées de la période moderne, était structurée par la représentation comme forme culturelle de la politique catholique, substantialisée dans l’inventio rhétorique qui unifiait métaphysique, théologie, éthique et politique. C’est-à-dire que dans ces discours l’attribut divin s’appliquait à la nature et à l’histoire, rendant les choses et les événements dans le monde similaires et convénients, malgré leur diversité apparente. Quant à la représentation de l’Indien et sa classification parmi les hommes, elles sont soumises à la relation entre le même et l’autre, dont l’historicité reste à établir.
II.
18. Dans le régime analogique de représentation de l’époque moderne, la notion d’altérité n’était pas commandée par l’idée de « différence culturelle », telle qu’elle est aujourd’hui, mais plutôt définie par des dégrés de similitude. Inclus dans l’échelle hiérarchique des hommes, puisqu’ils étaient dotés d’une âme, donc prochains, les Indiens ne présentaient qu’un faible degré de similitude par rapport à la bonne humanité chrétienne. Leur conversion était celle du même au même : du Sauvage corrompu par la longue emprise du diable sur son âme à la vérité profonde de la nature humaine qui est la sienne, devenue proportionnellement plus proche de Dieu.
19. Sous la plume de Jean de Léry, l’accusation de l’incohérence du projet colonial français de 1555 est faite en parallèle avec la construction de l’image d’un Tupinamba implicitement déguisé en huguenot massacré. Pour Léry, l’autre sauvage, chamite et condamné, est donc le même dans le « phantasme d’identification » du huguenot persécuté, comme le suggère Frank Lestringant [18].
20. Pour Claude d’Abbeville, le Tupinamba qu’il a rencontré un demi siècle plus tard, docile et disposé à la conversion, semble incarner par extension la victoire sur l’hérétique qui a motivé l’avancée de l’ordre missionnaire des Frères Mineurs Capucins dans les provinces françaises. Son correligionnaire Yves d’Évreux, à son tour, fournit dans son récit des preuves irréfutables des capacités de civilisation des Indiens, au travers d’une définition positive de leur « naturel », en soutenant par exemple qu’ils sont « plus aisés à civiliser que nos paysans de France » [19]. Pour les missionnaires capucins, l’autre tupinamba, en tant que Sauvage convertible, semble être, une fois de plus, le même, ou plutôt le prochain.
21. À l’intérieur de ce régime analogique qui commandait les modalités d’interaction et l’usage des dispositifs rhétoriques dans les discours, les conditions du rapport aux Indiens peuvent être analysées à partir des termes forgés et des lieux communs mobilisés dans leur designation. Ils permettent de determiner l’ensemble de conventions symboliques distinctives qui servaient à conférer ou à soustraire de la similitude plutôt qu’à désigner les individus empiriques auxquels ils étaient appliqués, en présupposant le fondement de la représentation, c’est-à-dire, la position hiérarchique [20].
22. Depuis la première édition de son livre en 1578, Jean de Léry fait usage des termes « Sauvages », « Barbares », « Américains », « Brésiliens ». Le terme « Sauvage » est utilisé, comme dans les récits français en général, sous la forme de substanctif et apparaît de façon dominante. L’adjectivation chez Léry fait référence, de manière toujours générique, à l’idée de « Brute » par opposition à celle d’« homme », d’après le De Oficiis de Cicéron. C’est ainsi que Léry écrit dans le chapitre XVI de son Histoire : « Comment doncques, dira maintenant quelqu’un, se peut-il faire que, comme bestes brutes, ces Amériquains vivent sans aucune religion ? » [21]. En tant que « bestes brutes », les Sauvages de Rio de Janeiro sont, sous la plume de Léry, « pauvres » et « misérables », signe de la condamnation qui résulte de la malédiction chamitique, déclarée dans le même chapitre XVI : « […] ce sont pauvres gens issus de la race corrompue d’Adam » [22].
23. Chez Claude d’Abbeville, le dispositif de dénomination des Indiens est saturé par répétition du nom « Sauvage », à l’intérieur du même champ sémantique de son prédécesseur français. La nature des « bêtes brutes » n’appparaît pas substantivée dans son récit, mais elle est affirmée dans les passages où sont décrites les coutumes indigènes que Claude d’Abbeville a paraphrasés de l’Histoire de Jean de Léry. Dans le chapitre XLVI, consacrée à la nudité des Indiens tupinamba, le capucin assume ainsi la forme élocutive du huguenot : « Il est ainsi que ceste coustume de marcher nud est merveieusement difforme & deshonneste, ressentant infiniment sa brutalité » [23].
24. Les effets de l’identification entre le missionnaire et l’Indien sont opérés dans le récit du père de Claude à travers le même adjectif « misérable », employé dans les topoï de la modestie affectée par les Frères Mineurs Fanciscains et Capucins, ainsi que dans la désignation de la condition sauvage : dans les lettres écrites depuis le Maragnan, le père Claude étend la valedictio couramment utilisée par les Frères Mineurs Capucins, basée sur le topos de l’humilité, et appose la formule suivante : « Votre petit frère et serviteur en Nostre Seigneur, frère Claude d’Abbeville, Capucin indigne et Indien et pour le présent » [24].
25. Les Indiens sont encore désignés comme « Maragnans » ou « Barbares » et unifiés comme « nation » ou « peuple ». Soumis à l’emprise du diable, ils sont considérés par Claude d’Abbeville comme un « miserable peuple qui a toujours esté sien [du diable] comme barbares, cruels & yvrognes, ne prenant plaisir qu’à danser & Caouinner […] » [25].
26. Dans le véritable programme colonial élaboré dans le récit de son coreligionnaire Yves d’Évreux se trouve également la référence à la « nation barbare », côte à côte avec les désignations les plus courantes, « Sauvages », « Barbares » et « Maragnans ». L’adjectivation est restreinte au vocabulaire propre à la théologie franciscaine, comme « pauvres Sauvages », dès les toutes premières pages du livre. Elle concerne également l’hypothèse de la descendance maudite des Tupinamba, ce qui n’entraîne pas l’idée de leur inconvertibilité pour le Père Yves : « Ceste nation des Sauvages – dit-il – est issue d’un mesme Pere que ceste Chananee, ses enfans sont possedez des Demons par l’infidelite ».
27. En somme, c’est la condition de « pauvreté » ou de « misère » qui définit rhétoriquement, sémantiquement et pragmatiquement les Tupinamba dans ce corpus de récits. Cependant, c’est précisément autour de cela que se structurent les deux arguments divergents sur les rapports aux Indiens, tous les deux conçus sous le signe de la sympathie : le pessimisme primitiviste du huguenot Jean de Léry et la projection utopique capucine.
28. Frank Lestringant a montré que, pour Jean de Léry, ce nouvel Éden des hommes libres, mais misérablement réfractaires à la Parole, était condamné à une destruction imminente, comme on peut le lire dans l’Apocalypse [26]. Dans Histoire d’un voyage, la dénonciation de la violence luso-espagnole cède la place à un « sentiment d’urgence apocalyptique » [27], dans lequel le misérable Sauvage est condamné, non seulement pour son origine maudite, mais aussi par la destruction de l’Amérique par les puissances catholiques. Au milieu de ce théâtre en ruines, Jean de Léry écrit le récit de son exil parmi les Indiens au cours de l’expérience malheureuse de colonisation française d’une Amérique qui, à ce moment-là, cesse d’être la terre promise des réformés.
29. En contrepartie, pour Claude d’Abbeville [28] et Yves d’Évreux, il s’agit de répondre à l’appel pathétique des Indiens, projetant l’alliance entre les Français et les Tupinamba dans un avenir prospère. Dans leurs récits, les capucins soutiennent ainsi « l’union étroite entre la religion et la loi » [29], qui transforme l’amitié en la figure qui opère cette communion dans la nouvelle France Equinoxiale. Menant les Indiens à une forme civile plus proportionnellement proche d’une respublica, la colonie correspondrait, de façon utopique, à un espace dans lequel la participation des Indiens dans le corps politique et social, comme sujets du roi de France, se réalisait moralement et politiquement.
III.
30. La fortune de la notion de sympathie, côte à côte avec son contraire, l’antipathie, est manifeste dans l’histoire même de la France Équinoxiale. L’expérience coloniale française de Maragnan fut éphémère : ladite cordialité des relations franco-tupi, la familiarité des Français avec la côté nord du Brésil et le caractère ouvertement missionnaire de l’entreprise n’ont pas suffit pour assurer une longue vie à la colonie. Les Français se sont implantés dans la région au début du xviie siècle, avec le soutien de la reine régente de France. Cependant, le soutien de la monarchie française à la France Equinoxiale a été progressivement menacé, sous la pression croissante du « parti espagnol » pour que la France quitte le projet de colonisation de Maragnan en fonction des mariages royaux, entre Louis XIII et l’Infante Anne d’Autriche et entre l’Infant Felipe et Élisabeth de France.
31. Dans l’abondante correspondance officielle émise par les agents de la bureaucratie hispanique, l’usage du topos de « l’amitié et la bonne correspondance des deux couronnes », faisant référence à l’amitié franco-espagnole, est fréquent, en particulier dans les termes qui introduisent la valedictio des lettres [30].
32. Au sein de la tension politique qui ressort des termes de cette même correspondance, toute une série d’œuvres ont été publiées en France et en Espagne pour soutenir, de façon polémique, « l’antipathie naturelle » entre les Français et les Espagnols. La plus exemplaire est sans doute La oposición y conjunción de los dos grandes luminares de la tierra. Obra apacible y curiosa en la cual se trata de la dichosa Alianza de Francia y España. Con la Antipathía entre Españoles y Franceses, imprimée à Paris par François Huby en 1617, et réimprimé avec le titre emblématique Antipatía de los franceses y españoles, de nombreuses fois, tout au long du xviie siècle, en français, espagnol, italien, allemand et anglais. Sa très large diffusion a garanti, sans aucun doute, la longévité du topos de l’antipathie, basée sur le modèle relationnel des Français et des Espagnols, de par l’incompatibilité entre l’humeur colérique des premiers et flegmatique des seconds.
33. Au xviie siècle, en France, la présence de ce topos persiste dans des pamphlets et des ouvrages controversés, dont beaucoup sont de caractère satirique [31]. Il ressort particulièrement du titre du livre que La Mothe le Vayer, sous le pseudonyme de Campolini, publiait en 1636, Discours de la contrariete d’humeurs qui se trouve entre certaines Nations, & singulièrement entre la Françoise & L’Espagnole [32]. Dans ce livre se trouve l’argument de l’incompatibilité des humeurs qui assure, une fois pour toutes, l’entrée du terme « antipathie » dans les dictionnaires, les ouvrages polémiques, les traités et les recueils historiques en France [33].
34. La Dissertation historique et politique sur l’Antipathie qui se trouve entre les Français et les Espagnols, de 1688, est un autre ouvrage polémique, clairement tributaire des deux précédents, ceux de Garcia et de La Mothe Le Vayer. Dans ce livre, le terme « antipathie » quitte le sous-titre pour accéder à la valeur d’objet d’un mémoire historique et politique. Partant de l’argument qui oppose la souffrance des uns au bonheur des autres, les premières lignes du discours apportent une liste d’antipathies, parmi lesquelles figure le suivant : « Les Cannibares du Brésil sont ennemis jurés des Toupinambours, & les Tapouyes font tous les jours les courses sur les autres Indiens » [34]. Si le système d’alliances entre les tribus de la côte du Brésil ne pouvait pas manquer à l’intérieur de la logique qui oppose, d’un côté, « amitié et bonne correspondance », et de l’autre, « antipathie », l’inventaire de la Dissertation culmine inévitablement avec la plus grande de toutes les antipathies, la franco-espagnole, marquée par « un souverain dégré » sur toutes les autres [35].
35. Les dictionnaires français confirment le fait que les usages de la notion d’« antipathie » tout au long du xviie siècle ont fait que le caractère « polémique » l’emporte sur sa simple équivalence par opposition à « sympathie », selon les théories naturalistes des humeurs. Ainsi, si le terme « sympathie » est maintenu depuis la définition de Nicot [36], de 1606, comme « similitude et comme conjonction de nature », « antipathie », à son tour, devra signifier plus directement les passions colériques. Il y a, en ce sens, une discordance discernable entre les définitions de « sympathique » et d’« antipathie » qui se trouvent dans le dictionnaire de l’Académie Française de 1694, où seul le second terme apparaît sous la forme substantivée. En tout cas, il y a aussi une divergence dans le détail des deux notions :
SYMPATHIQUE. adj. de t. g. Qui a de la sympathie. Ces choses là ne sont pas sympathiques.
ANTIPATHIE. s. f. Contrarieté d’inclinations, de qualitez. Il se dit des personnes, des animaux, & des choses inanimées. Antipathie naturelle, invincible, grande, furieuse. avoir de l’antipathie à quelque chose ou contre quelque chose. par antipathie. il y a bien de l’antipathie entre ces deux personnes. l’antipathie qui est entre le loup & la brebis, entre le crapaud & la belette, entre le fresne & les serpents [37].
36. Bref, si « sympathie » et « antipathie » étaient des notions étymologiquement opposées, se référant aux « inclinations naturelles », leurs usages depuis les dernières décennies du xvie siècle ne les opposaient pas diamétralement, la notion d’antipathie étant plus immédiatement appropriée à des fins politiques. Les deux notions convergent, en tout cas, vers ce que Crucé écrit en 1623, après avoir énuméré les discordes entre Turcs et Perses, Français et Espagnols, Chinois et Tartares, etc. : « la similitude du naturel [est] le vrai fondement d’amité et société humaine » [38].
37. À partir de ces fondements, il est possible d’établir le sens de la notion de sympathie en tant que marque des « codes relationnels Franco-Tupi » dans les récits français.
38. Chez Jean de Léry, la sympathie affichée pour l’Indien tupinamba s’appuie, plus radicalement, sur le courant anti-catholique qui alimente la polémique pamphletaire, prôné par les reformés hostiles à la domination des Habsbourgs [39]. Dans ce cas, on peut dire qu’elle n’est pas fondée sur la « compatibilité des humeurs », mais elle se définit par opposition au topos de l’antipathie entre Ibériques et Français, telle une « anti-antipathie ». Elle serait ainsi pleinement justifiée dans le cadre des accusations des crimes commis en Amérique par les Espagnols contre les Indiens, portées par les calvinistes en France. En bref, les notions de sympathie et d’antipathie ont un sens tout à fait particulier sous la plume du huguenot, au sein des luttes de représentation dans lesquelles les groupes réformées prétendent imposer l’image de la destruction de l’Amérique basée sur l’idée de l’adversité naturelle entre les peuples [40].
39. Dans les récits des capucins il y a une élaboration rhétorique-théologique-politique faite à partir de ces mêmes codes relationnels basés sur une « sympathie » supposée envers les Indiens, mais qui avance dans le sens de l’argument de la compatibilité des humeurs entre la nation Tupinamba et les Français.
40. En observant les signes divins dans les choses et en les ordonnant sémantiquement dans leur prédication, les missionnaires capucins devaient affecter la volonté et la raison des Sauvages-catéchumènes à Maragnan. De cela dépendait le triomphe de la politique catholique de France, « fille aînée de l’Église ». En ce sens, dans leurs récits, le topos de la prédication douce est basé sur l’argument de la compatibilité entre le « naturel sauvage » et l’humeur française, de façon à promouvoir l’acceptation volontaire, innocente et consentie de la foi catholique par les Indiens.
41. Claude d’Abbeville raconte un épisode qui se déroule dans le village d’Eussaouãp, au moment du Carbet, l’assemblée indigène, lorsque le truchement Migan fait une harangue au nom des Français, afin de démontrer la différence entre ceux qui venaient traffiquer dans le passé et les grands Bourouvicháves, les « braves guerriers » envoyés de France à Maragnan pour défendre la nation tupinamba contre leurs ennemis, les Portugais [Pero], et vivre parmi les Indiens comme de « bons amis » (« vivre avec vous autres comme bons amis »). Après avoir rappelé les lois intrinsèques du troc, Migan définit le « naturel », c’est-à-dire le tempérament français :
[il n’est pas] en leur puissance [aux Français] de rien faire contre leur bon naturel, qui ne les porte qu’à toute sorte de biens & de douceur. Penses tu qu’il y aye nation au monde qui s’approche de la bonté des François ? Non, non [41].
42. Le « naturel » tupinamba – bien que corrompu par l’action du diable jusqu’au moment de l’arrivée des Français – sert aussi à qualifier les relations d’amitié entre les Indiens, comme on peut le lire dans l’Histoire de la mission :
C’est une chose bien admirable, que les Indiens Topinamba, n’estans conduits que par leur naturel, quelque corrompu qu’il soit, s’entrayment neanmoins d’un amour si cordial et fraternel […] comme s’ils estoit tous d’une mesme famille & parenté [42].
43. Si pour les missionnaires capucins la douceur était le seul moyen légitime de conversion des âmes sauvages, tous les efforts de Claude d’Abbeville se conjuguent pour montrer l’efficacité de ce modèle pastoral. Tandis qu’en France, dans les missions de l’intérieur, l’offensive capucine s’employait contre l’ignorance comme un terrain propice au développement de l’hérésie, à Maragnan la conversion des Tupinamba, exempts du poison de l’hérésie – « ignorants de tout », mais pas du vrai Dieu, Toupan – exigeait le modèle de la douceur. Bernard Dompnier a montré que cette pastorale avait eu une certaine unité théorique tout au long du xviie siècle, compte tenu des résonances entre les différents textes normatifs, en particulier les œuvres des théologiens de l’ordre de ces Frères Mineurs [43].
44. Yves de Paris, théologien capucin célèbre au xviie siècle, s’est consacré à l’apologétique et à la théologie morale, selon sa proposition d’une « théologie naturelle » [44]. Les termes qu’il emploie dans La conduite du Religieux, de 1653, en se référant à ceux pour qui « la nature semble nous donner moins de sympathie », sont à la base de sa représentation de l’action idéale du Religieux dans des situations hypothétiques, autorisée par Saint Thomas et nécessairement liée à la pastorale de la douceur :
[…] si l’on vient à la concurrence, ceder sur tout aux humeurs altieres qui se piquent d’estre mises en comparaison : en cela vous faites un double bien, d’entretenir la paix, & de satisfaire votre humilité. S’il se propose quelque question où l’on attende vos sentimens, les dire & les appuyer de raisons avec une modestie qui excuse les opinions contraires ; si vous troves des opiniastres à ne point ceder, gardez vous de tomber dans cette vanitez pedantesque qui condamne de fausseté, d’inorance d’heresie, tout ce qui ne s’accorde pas à son dire : pour ne point venir dans l’aigreur, laissez plutost la chose indécise, & faites quelque agreable diversion des discours [45].
45. Au-delà des limites de ce modèle pastoral, l’œuvre du Père Yves de Paris s’inscrit parfaitement dans les cadres des traités franciscains de son temps, visant à formuler des préceptes sur le gouvernement des rapports d’amour ou d’amitié, en tant que penchants naturels des hommes, de sorte qu’ils puissent atteindre ensemble le but du bien commun. Dans les préceptes recueillis par Yves de Paris dans L’Agent de Dieu dans le monde, de 1656, les fondements providentiels de l’État monarchique sont identifiables dans l’union de ces penchants naturels :
[…] quand vous voyez que les peuples jaloux de leur liberté la luy souzmettent sans contrainte & par inclination, il faut conclurre que cette vertu dominante, dont il ne se trouve aucun fondement en la personne, vient de Dieu. Il a fait naistre les hommes avec de grandes affections pour la société, afin que les graces particulières qu’il leur distribuë devinsent communes & que chacun fust esclairé par les lumières, soulagé par la vertu, riche par l’abondance des autres & dautant que cette grande multitude ne peut subsister sans un pouvoir qui domine, non plus que les nombres sans l’unité, les elemens sans le Ciel, les Cieux sans un premier mobile, la divine providence pourvoit les estats d’un Prince ou d’un Sénat qui les gouverne [46].
46. Partant du principe que c’est par amour, comme aptitude de la volonté, et non pas par la raison, que les élus s’unissent à Dieu – car la volonté, selon la conception augustinienne, en tant que l’une des facultés de l’âme, surpasse l’autre, l’intellect, qu’elle meut – [47], Yves de Paris reconnaît, par extension, que c’est aussi par amour qu’elle se tourne activement vers sa finalité, le bien, ou plutôt le bien commun :
Si chacun ayme les autres comme soy mesme, il ne leur fera point de mal, il leur souhaittera tout le bien possible, il estouffera toutes les injustes convoitises de l’amour propre, & luy donnera des estendues qui s’accorderont parfaitement avec les inclinations naturelles que nous avons de vivre en societé [48].
IV.
47. Le premier discours du chef Japy Ouassou proféré dans l’île de Maragnan devant les Français est clairement basé sur la constatation de l’état de misère dans lequel se trouvait son peuple. Dans le discours, le partage spatial (la France et la France Equinoxiale, par deçà et par delà) et temporel (l’indigence d’avant et le bonheur d’après) instaure l’inégalité entre les Tupinambá et les Français, leurs « bons amis », et fait présupposer la reconnaissance de la nécessité de protection des premiers par les seconds.
Je suis très-ayse (vaillant guerrier) de ce que tu es venu en cette terre pour nous rendre heureux, & nous defendre de nos ennemis. Nous commencions desja à nous ennuyer tous, de ne voir venir des François guerriers sous la conduite d’un grand Bourouvichave pour habiter cette terre […] Estans resolus de passer le reste de nos jours privez de la compagnie des François nos bons amis […] & nous remettre à l’ancienne & miserable vie de nos Ancestres […] [49].
48. Les conditions de cette « alliance inégale » entre la nation française et la nation tupi ressemblent à celles que Jean Bodin prévoyait dans le premier des Six Livres de la République : pour le cas de « ceux qui ne sont point ennemis, […] l’un reçoit l’autre en protection », reconnaissant « leurs protecteurs en tout honneur ». Bodin souligne, cependant, qu’il y a une « différence entre ceux qui sont en protection simplement, et ceux qui tiennent en foi et hommage ». Et il rajoute : « Quand je dis foi et hommage, j’entends le serment de fidélité, la soumission, le service et devoir du vassal envers le seigneur » [50].
49. La marque de l’« alliance inégale » entre la pauvre nation de par delà et le grand royaume de par deçà est manifeste aussi dans le discours prononcé en langue tupi par l’ambassadeur Itapoucou (appelé Louis Marie après son baptême) devant le roi de France au Palais du Louvre en 1614, et ainsi traduit par le Père Claude :
Grand Monarque, tu as eu agreable de nous envoyer des grands personnages avec des Prophetes pour nous enseigner la Loy de Dieu & nous maintenir contre nos ennemis. A jamais nous t’en serons redevables : d’autant que jusqu’à present nous avons mené une vie miserable […] J’admire ta grandeur te voyant le Monarque d’une telle nation & d’un si grand païs. Et suis honteux de me presenter icy devant toy, reconnoissant la difference qu’il y a entre les enfants de Dieu, que vous estes, & les enfants de Jeropary [Diable] que nous avons tousjours esté. […] les Principaux de nostre païs nous ont icy envoyé au nom de toute nostre nation pour faire hommage à ta grandeur telle que nous devons […], protestans qu’à jamais nous demeurerons tes subjects & tes serviteurs treshumbles & très-fideles amis de tous les François [51].
50. Les termes qui inaugurent cette harangue soulignent, encore une fois, l’effet de coupure entre le passé sauvage des ténèbres et l’avenir français de la révélation, par l’utilisation de techniques d’amplification, selon des topoi rhétoriques appliqués au travers d’oppositions (le bien et le mal, Dieu et Jeropary, la misère et la grandeur, etc.). Autrement dit, dans ce discours qui aurait été prononcé par Itapoucou devant le roi de France, la coupure temporelle et spatiale établissant le passé dissolu des Tupinamba est précisément ce que permet la projection, en 1614, de l’avenir français des Indiens de Maragnan, au sein de l’éthique chrétienne de l’amour et de l’amitié et conformément à la volonté divine qui perpétue la concorde en tant qu’adhésion aux lieux hiérarchiques de la monarchie catholique française.
51. Apparemment, ces discours solennellement prononcés par les Indiens portent les marques de « l’assujétissement, [du] service et [de] l’obéissance » au Prince qui découlent des conclusions de Jean Bodin sur la « vraie marque de la Monarchie Royale », à savoir,
[…] quand le Prince se rend aussi doux, et ployable aux lois de nature, qu’il désire ses sujets lui être obéissants : ce qu’il fera, s’il craint Dieu sur tout, s’il est pitoyable aux affligés, prudent aux entreprises, hardi aux exploits, modeste en prospérité, constant en adversité, ferme en sa parole, sage en son conseil, soigneux des sujets, secourable aux amis, terrible aux ennemis, courtois aux gens de bien […] [52].
52. Le drame de la conversion de la nation tupinamba, unie dans l’amour de Dieu et l’amitié entre les hommes, est visiblement analogue à celui de la nouvelle France de l’Équinoxe qui n’existerait jamais. Si le topos de l’amitié franco-tupi était à la base de la formulation de l’argument colonialiste français, il corrobora, dans le même mouvement, l’invention du Sauvage convertible des capucins, intégré à travers son propre discours à la perspective eschatologique de l’histoire des hommes. C’est dans cette condition qu’il viendra intégrer, par sa bonté, définitivement affirmée près de deux siècles plus tard en France, le mythe des origines les plus lointaines de l’Homme.
Andréa Daher
Université Fédérale de Rio de Janeiro