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Irène Bellier

La reconnaissance des peuples autochtones comme sujets du droit international. Enjeux contemporains de l’anthropologie politique en dialogue avec le droit

Résumé : Cet article explique comment la catégorie politique relationnelle [peuples autochtones] suscite de nouveaux débats en anthropologie et en droit. En revenant sur les enjeux linguistiques – l’énoncé de cette catégorie internationale variant selon les langues dominantes tandis que ses usages s’inscrivent dans divers contextes politiques – il précise les enjeux de la différenciation entre les termes de « peuple » et de « population ». Le traitement des questions autochtones induit une série de transformations épistémologiques stimulant une réflexion analytique sur les institutions et les formes de gouvernement du collectif. De nouveaux domaines de dialogue entre anthropologie et droit émergent de cette perspective, notamment sur le sens de la loi, sur les questions foncières qui doivent être repensées à l’aune de la pression des entreprises multinationales (extractives ou agro-industrielles) sur les territoires autochtones ainsi que sur les classifications systémiques.

Mots-clés : peuples autochtones – droits humains – enjeux contemporains

Abstract : This article explains how the relational political category [Indigenous Peoples] raises new debates in anthropology and law. By returning to linguistic issues – as the statement of this international category varies according to the dominant languages and its uses fall into various political contexts – it specifies the stakes of the differentiation between the terms « people » and « population », the [s] making a difference in English (the working language of the United Nations) between people (individuals) and peoples (collective). The treatment of indigenous issues induces a series of epistemological transformations stimulating an analytical reflection on the institutions and forms of government of the collective. New areas of dialogue between anthropology and law emerge from this perspective, particularly on the meaning of law, on land issues that must be reconsidered in the light of the pressure of multinational companies (extractive or agro-industrial) on indigenous territories and on systemic classifications.

Key words : Indigenous peoples, human rights, contemporary challenges

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Cet article explique comment la catégorie politique relationnelle [peuples autochtones] suscite de nouveaux débats en anthropologie et en droit. En revenant sur les enjeux linguistiques – l’énoncé de cette catégorie internationale variant selon les langues dominantes tandis que ses usages s’inscrivent dans divers contextes politiques – il précise les enjeux de la différenciation entre les termes de « peuple » et de « population ». Le traitement des questions autochtones induit une série de transformations épistémologiques stimulant une réflexion analytique sur les institutions et les formes de gouvernement du collectif. De nouveaux domaines de dialogue entre anthropologie et droit émergent de cette perspective, notamment sur le sens de la loi, sur les questions foncières qui doivent être repensées à l’aune de la pression des entreprises multinationales (extractives ou agro-industrielles) sur les territoires autochtones ainsi que sur les classifications systémiques.

Introduction

1. L’expression [peuples autochtones] a fait une entrée remarquable dans le champ de l’anthropologie et dans celui du droit au cours du XXe siècle lorsque l’Organisation des Nations unies (ONU) s’est penchée sur les questions que soulevaient les représentants de ces groupes sociaux qui réussirent à y entrer, précisément dans le but d’attirer l’attention sur les situations de déni de droits qu’ils connaissaient dans leurs pays respectifs. Au début du XXIe siècle, l’Assemblée générale de l’ONU adopta la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) qui consacre la reconnaissance du droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes et accorde une personnalité juridique aux entités qui s’identifient ainsi, de différentes manières cependant. Cette adoption, le 13 septembre 2007 par 143 votes en faveur contre 4 pays s’y opposant (dits du groupe CANZUS, pour Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et États-Unis), a représenté une immense avancée dans le domaine du droit international des droits humains. Le revirement du Canada et de l’Australie en 2009, suivis de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis en 2010, ainsi que l’adhésion progressive de pays qui s’étaient abstenus (dont la Colombie) a élargi la portée de ce document et ouvert la porte à une interprétation « ambitieuse », selon la traduction retenue à l’international pour le terme anglais aspirational. La position des quatre pays CANZUS a marqué les esprits car ils sont très concernés par des conflits historiques de souveraineté avec les premiers occupants de terres colonisées dont les descendants revendiquent l’usage ainsi que le droit d’être traités dignement et de participer à la prise de décisions dans les affaires qui les concernent. Les prises de position de ces pays, influents à divers titres, ont de nombreux effets sur les autres continents.

2. Après la déclaration par l’Assemblée générale de l’ONU d’un jour (9 août), d’une année (1993) et de deux décennies consacrées aux peuples autochtones (1995-2004 ; 2005-2014), la DNUDPA ouvre la voie à la construction « de nouvelles relations » au niveau global et au sein des pays concernés. En 2009, le Canada comme l’Australie ont présenté des excuses officielles à leurs populations autochtones pour la violence de la colonisation et le traumatisme légué par la politique des pensionnats qui sépara les enfants de leurs milieux familiaux ici pour « éduquer l’enfant en tuant l’indien », là pour « blanchir » les aborigènes dont les enfants, enlevés de force à leurs parents de 1869 jusque 1969 environ constituent les « Générations volées » [1]. Comme le dit Shawn A-in-chut Atleo, chef national de l’Assemblée des Premières Nations du Canada, lorsque le gouvernement annonça sa décision d’endosser la DNUDPA :

Ce jour marque un tournant important de notre relation et le véritable travail commence maintenant. Il est temps de travailler ensemble pour ouvrir une nouvelle ère de justice équitable pour les Premières Nations et un Canada plus fort pour tous les Canadiens, guidés par les principes-clés de la Déclaration que sont le respect, le partenariat et la réconciliation. Les Premières Nations ont longuement et durement travaillé pour élaborer des approches constructives et efficaces, pour abandonner la relation coloniale incarnée par la Loi sur les Indiens qui a tenu nos peuples à l’écart. Nous sommes prêts à bouger maintenant – aujourd’hui – et l’une de nos priorités est l’éducation [2].

Depuis l’adoption de la DNUDPA le gouvernement du Canada s’est engagé dans la refondation d’une relation avec les peuples autochtones pour avancer dans la résolution de différents problèmes, y compris par la signature de nouvelles ententes (que l’on dénomme aujourd’hui « traités modernes »). Au niveau international, le souci de mettre en œuvre les dispositions de ce texte dans une série de domaines inscrit la question du respect des droits humains dans toutes les politiques publiques et suscite de nouvelles initiatives au sein du système des Nations unies.

3. Avant d’évoquer le développement international des droits reconnus aux peuples autochtones, les résistances nationales ou les demandes locales qui continuent d’être formulées au vu des violations qui se poursuivent ou des politiques publiques qui les affectent, il convient d’éclairer un point d’usage terminologique qui revêt une certaine importance pour comprendre comment les pays se disposent face à un outil international de droit de portée universelle. L’expression [peuples autochtones], qui est usitée au pluriel pour mettre en avant la nature collective des droits nécessaires à la reproduction de ces groupes sociaux [3], a été matière à débat. Ses deux composantes, à savoir « peuple » d’une part et « autochtone » d’autre part, sont au cœur du problème. Pour certains, la nature de « peuple » est sujette à caution, pour d’autres le caractère « autochtone » est problématique. Dans les deux cas, il est important de savoir qu’il n’existe aucune définition simple de ces termes ni en droit international ni en anthropologie. Si nous revenons plus loin sur les éléments de ce débat, il faut savoir que la question du substantif [peuple] soulève des enjeux d’ordre philosophique et de nature politique tandis que la discussion sur l’attribut [autochtone] relève essentiellement de la traduction en français des vocables indigenous et indígenas. Ces termes qui désignent les premiers habitants des colonies de peuplement, principalement non-Européens en raison des modalités d’expansion coloniale du XVe jusqu’au XXe siècles, sont mieux acceptés en anglais et en espagnol que leur équivalent en français. Cela n’a pas toujours été le cas et il convient d’historiciser les usages qui en sont faits. Dans les années 1950, à l’époque des grands mouvements de décolonisation, la dynamique coloniale fut caractérisée par une expression, blue water theory ou « théorie de l’eau salée », qui considèrait le fait colonial comme établi par l’existence d’une coupure maritime entre le pays colonisateur et sa colonie [4] : selon celle-ci, les « indigènes » étaient ceux qui précédaient les colonisateurs venus d’Europe par voie maritime, établissant des colonies de peuplement et suscitant par métissage l’émergence de diverses formes de créolisation ; cela désigne plus précisément les Amériques et l’Océanie. Outre le fait que cette théorie limite l’expérience coloniale à cette relation certes incontournable, elle a eu pour effet de restreindre l’interprétation du droit à l’autodétermination pour les sociétés incorporées dans les États contemporains. Cette approche pèse sur l’interprétation de l’un des outils du droit international qu’est la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui concerne « les peuples autochtones et tribaux dans les pays indépendants ». L’enjeu des années de discussion accompagnant les négociations sur la DNUDPA a été de considérer l’universalité des situations. Cela permit de préciser l’existence de peuples autochtones en Afrique, en Asie ou en Europe – régions non caractérisées comme des colonies de peuplement –, en tant qu’entités susceptibles de relever de la construction internationale du droit de la même manière qu’en Amérique et en Océanie. Cela suscite des résistances car, sur la scène internationale, les représentants étatiques africains et asiatiques expriment le même leitmotiv : « we are all indigenous  » ; ce qu’ils formulent au regard des modalités de leur indépendance en renvoyant à leurs processus de construction nationale. Ces termes ne sont pas du tout usités par les pays européens pour qui les « indigènes » sont ailleurs, sauf en pays scandinaves dont les gouvernements sont engagés dans une « nouvelle relation » avec les peuples Sami.

4. Dans ce contexte, où les bénéficiaires d’un instrument de droit doivent se constituer comme entités juridiques (ou disparaître), comment penser les demandes de reconnaissance et les critiques que présentent depuis des dizaines d’années toutes sortes d’organisations autochtones en provenance de toutes les régions du monde ? L’ONU les prend en considération et les situations africaines et asiatiques sont progressivement clarifiées, comme en témoigne le travail réalisé par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pour déterminer parmi tous les groupes ethniques africains ceux relevant du dispositif international : les experts mettent l’accent sur les modes de subsistance économique en ciblant notamment les chasseurs-cueilleurs et les pasteurs nomades [5].

5. À ce jour, les Nations unies considèrent qu’il existe environ quatre cent millions d’autochtones qui se distribuent dans quatre-vingt-dix pays et représentent la majorité des quelques six mille langues reconnues dans le monde dont certaines sont en voie de disparition rapide [6]. La collecte des chiffres est toujours délicate en raison des caractéristiques nationales des recensements, mais lorsque la reconnaissance est rendue possible par les dispositions des constitutions ou des lois et la disponibilité d’une catégorie de recensement, l’identification des collectifs concernés est bien améliorée ainsi que le nombre des individus s’y rattachant. Cependant on échappe difficilement au problème de la définition et à la tension que les modes de reconnaissance nationaux établissent vis à vis d’une catégorie émergeant dans le droit international.

6. Les réflexions qui suivent sont nourries par des années d’enquêtes anthropologiques réalisées au sein des espaces de l’ONU qui se dédient à l’examen des questions autochtones [7], visant à faire connaître en France l’importance des questions ouvertes par la fabrique du droit international des droits des peuples autochtones et à préciser le sens de l’entrée en droit de ces sujets dont la principale caractéristique est d’être marginalisés dans les espaces nationaux. Elles s’appuient sur une recherche que j’ai pilotée, de 2010 à 2015, dans le cadre d’un programme financé par le Conseil européen de la recherche sur les articulations entre les Nations unies et une dizaine de pays dans quatre continents qui ont différentes conceptions de ce que [peuples autochtones] veut dire et, de ce fait, différentes interprétations quant à la mise en œuvre de la DNUDPA [8]. La recherche de l’équipe SOGIP [9] sur les échelles de la gouvernance, conduite par une dizaine de personnes, a permis d’identifier les conditions d’acceptabilité du droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes (droit à l’autodétermination), de saisir les limites étatiques et d’apprécier certaines évolutions. Elle stimule de nouvelles recherches sur la mise en œuvre des droits reconnus dans le cadre d’un groupe de recherche international soutenu par le CNRS sur la thématique « Justice et droits des peuples autochtones » [10], au sein duquel des chercheurs de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales examinent des situations, de conflits notamment, dont la résolution sollicite différentes rubriques du droit : les droits fondamentaux et humains, le droit à l’environnement, les droits culturels et sociaux, les droits civils et politiques et les droits aux terres, territoires et ressources des peuples autochtones, notamment.

7. Cet article, reviendra dans un premier temps sur les enjeux terminologiques brièvement évoqués plus haut afin de préciser la manière dont la catégorie [peuples autochtones] constitue un nouvel objet d’études en anthropologie en raison des effets du droit international. Dans un second temps, il précisera le sens de l’arrivée de cet objet [les droits des peuples autochtones] en anthropologie politique. Puis, dans un troisième temps, il présentera quelques pistes sur l’importance du dialogue entre droit et anthropologie et le renouveau de l’intérêt porté à la notion de pluralisme juridique.

I. Enjeux terminologiques : une réflexion d’anthropologue au regard des effets du droit

8. Les enjeux de traduction ne sont pas négligeables si l’on comprend que dans le contexte francophone le terme [indigène] est marqué d’une négativité, liée au statut de l’indigénat établi par la France dans ses colonies et faisant des sujets coloniaux des citoyens de seconde catégorie, dénués de droits politiques [11]. Sur la scène internationale, au moment de réfléchir à la qualité des entités concernés par l’élaboration d’un outil de droit international et alors qu’il s’agissait de reconnaître la spécificité de leurs situations à travers les concepts de marginalisation et de discrimination, mobilisés à l’époque, les autochtones francophones d’Amérique (Guyane et Québec notamment) mais aussi d’Afrique, d’Asie et du Pacifique qui participaient aux débats sur le projet d’une déclaration internationale ont rejeté son emploi et proposé de retenir le vocable [autochtone]. Leurs voix, jointes à celles des délégués hispanophones et anglophones, formèrent un autre leitmotiv  : « Les peuples autochtones ne sont pas des peuples de deuxième catégorie ! ».

9. Qu’ils aient voulu marquer l’importance du rapport à la terre, le fait de leur antériorité par rapport aux colonisateurs ou leur exclusion du champ de la citoyenneté, tous ces motifs suscitent un large volet d’interprétations à l’aune des développements internationaux des droits humains qui se produisent à partir des années 1990 et 2000. Dans ce contexte, si l’on veut comprendre ce que désigne le droit international tout en ayant présent à l’esprit l’histoire des usages nationaux qui pèsent sur l’emploi de certains termes et l’exclusion d’autres, il faut accepter de ne pas traduire littéralement un vocable qui est entré dans le droit international par les langues espagnole [indígena] et anglaise [indigenous] ou par son usage en français international [autochtone]. En russe, autre langue de travail onusien avec le chinois et l’arabe, les ensembles considérés sont désignés par l’expression [peuples numériquement faibles] [12]. Ils le sont en Inde par le terme [adivasi] [13] et à Taiwan, par l’expression [yuanzhu minzu] [14]. Face à l’existence de différentes catégories de nomination qui font partie de processus classificatoires, l’esprit de la déclaration de droits marque un progrès face à toutes les dénominations négatives telles que [hommes crus] c’est à dire « non-civilisés », [natifs], [primitifs] ou [sauvages]…

10. Ayant examiné la question des usages linguistiques dans un chapitre publié en 2009 [15], je rappelle ici quelques éléments exposés alors à propos de l’emploi de l’expression [peuples autochtones]. Mes enquêtes aux Nations unies me permirent de constater que les termes anglais [autochthonous] ou espagnol [autóctono] étaient peu usités, socialement, politiquement ou juridiquement dans les pays anglophones et hispanophones. Connus mais sans guère de pertinence, ils sont parfois remplacés par le vocable originario qui fait écho en espagnol à l’anglais aboriginal pour désigner les peuples d’Amérique dont l’existence précède la conquête. Les termes [aboriginal] et [aborigen] sont employés, en anglais et en espagnol, dans un sens différent du français qui le réserve à certaines populations : Aborigènes d’Australie, notamment. Le vocable espagnol désigne les premiers habitants d’un pays en les distinguant de ceux qui se sont installés ultérieurement, sans portée régionale particulière, ce qui le rend applicable sur tous les continents. Mais il est moins usité que indígena qui désigne « celui qui est originaire du pays dont on parle » [16]. Les Canadiens, au bilinguisme officiel, ont employé longtemps le vocable [aboriginal] pour nommer en anglais le ministère chargé des Affaires autochtones [17] et ils en conservent l’usage comme, par exemple, dans l’expression figurant en page d’accueil du site gouvernemental :

The Canadian Constitution recognizes three groups of Aboriginal peoples : Indians (more commonly referred to as First Nations), Inuit and Métis. These are three distinct peoples with unique histories, languages, cultural practices and spiritual beliefs.

Ce qui dans la version francophone du site est exprimé de la sorte :

La Constitution canadienne reconnaît trois groupes de peuples autochtones : les Indiens (plus souvent appelés les « Premières Nations »), les Inuit et les Métis. Ces trois groupes distincts ont leur propre histoire ainsi que leurs propres langues, pratiques culturelles et croyances [18].

Si l’on étend l’analyse des effets de traduction à d’autres vocables familièrement usités pour nommer lesdites populations tels que [natives], [primitives] ou [tribales], la question ne se simplifie pas. Les termes cités se rattachent au même domaine sémantique que [indigène] ou [autochtone] : employés couramment dans différents pays (selon la classification nationale des populations), ils sont de plus en plus considérés comme péjoratifs et marqués d’un évolutionnisme douteux. Aujourd’hui les anthropologues les estiment impropres à la connaissance des groupes sociaux. Dans ce contexte, c’est à travers l’existence d’un outil de droit international, la DNUDPA que la consolidation en français de l’expression [peuples autochtones] acquiert une force relative que ce présent article a pour objet d’éclairer.

11. Deux historiens français ont marqué le champ de leurs réflexions sur l’autochtonie, vocable dont l’étymologie précise le rapport à la terre. Ils mettent en avant l’imaginaire politique de la cité grecque antique : en 1996, Nicole Loraux publiait Né de la terre. Mythe et politique à Athènes éclairant, entre autres, l’exclusion des femmes [19] ; en 2003, Marcel Detienne, publiant l’essai Comment être autochtone [20], revenait sur la notion dans un contexte français où la pensée d’extrême droite avançait une rhétorique sulfureuse opposant des individus « de souche » à des migrants de « première, deuxième ou énième génération ». L’une comme l’autre établissait une connexion entre la détention de droits et le statut de sujets reconnus autochtones. Le problème est que le même terme désigne des situations distinctes dans le temps et dans l’espace et que l’on observe une inversion du rapport des sujets visés avec la détention de droits. Lorsque, à partir des années 1970, les Nations unies commencèrent l’examen des situations des populations autochtones dans le monde, les experts mandatés pour ce faire partaient d’un constat radicalement opposé, à savoir que les sujets en question étaient discriminés et généralement privés de droits dans le cadre des États qui les englobaient. En d’autres termes, ceux qui étaient nommés autochtones (et se reconnaissaient dans cette catégorie) n’étaient pas les détenteurs de droits : l’autochtonie ne désignait pas un cadre exclusif. Pour compliquer la situation vis à vis des interprétations francophones, des développements épistémologiques se sont produits sur la base d’études anthropologiques, en anglais plus qu’en français, autour de la notion d’indigénéité [21] tandis que, en espagnol, à partir d’analyses avancées par la philosophie de la libération (Enrique Dussel), la sémiologie (Walter Mignolo), l’anthropologie du développement jointe à l’écologie politique (Arturo Escobar), l’accent se plaçait sur la notion de « colonialité du pouvoir », amorçant à partir de l’Amérique latine un courant d’études dit « décolonial » dont l’université française a du mal à se saisir [22].

12. Cela me conduisit à proposer en 2009, dans la revue Espace-Temps, un essai de clarification du mot « autochtone » :

Désignant le rapport à la terre [autòkhtônos] « de la terre même », son sens se confond avec [indigène], construit sur les éléments latins [-gena] et [indu-] « né, issu [-gène] de l’intérieur », pour désigner étymologiquement celui qui est du pays. Ce dernier distingue les personnes « nées dans un lieu » de celles qui viennent d’ailleurs (advenae).
Les autochtones dont s’occupent les Nations Unies sont définis par leur marginalité, le déni de leurs droits par la société dominante dans le cadre des États-nations. Ce sont eux qui, en militant pour la reconnaissance de la catégorie politique « peuples autochtones » dans une dimension plurielle cherchent l’égalité de droits dans la communauté internationale.
Au plan linguistique et avec le passage de la Grèce ancienne à la Rome impériale, on note déjà un glissement de sens, de l’enracinement mythique à la terre vers le rapport à un espace délimité par l’autre : celui qui nomme. Ainsi qu’il fonctionne sur la scène internationale, le mot [autochtone] s’est enrichi des traductions qu’il reçoit dans les différentes langues et des réalités qu’il désigne historiquement. Il ne désigne plus seulement le rapport à la terre mais la place dans un système social [23]].

Si la question de la place de ces groupes sociaux dans les systèmes étatiques est toujours d’actualité de même que la nature du rapport qu’ils entretiennent à la terre est matière à débat, les peuples autochtones – au sens onusien du terme – ont introduit un élément supplémentaire dans les demandes de droits qu’ils ont portées devant la communauté internationale : une nature collective destinée à compléter l’arsenal des droits individuels de la personne et porteuse d’une logique d’émancipation qui interroge l’État dans sa capacité d’administrer l’ensemble de ses populations. De ce fait, ils mettent en question le lien entre État et nation, cette forme moderne et contemporaine d’organisation politique qu’est l’État-nation, liée par un trait d’union dont l’anthropologue Arjun Appadurai critique la validité dans son approche des dimensions culturelles de la globalisation [24]. La critique des porteurs de voix autochtones s’appuie non sur une analyse des formes diasporiques des relations post-nationales, comme le propose cet auteur, mais sur une dénonciation des modalités par lesquelles leurs formes d’organisation sociale et politique, leurs normativités et leurs territorialités ont été détruites par la colonisation. Ils lient ces pratiques à l’exclusion politique dont les ensembles qu’ils représentent ont été l’objet historiquement. Dans le cadre de cet article, la crise de l’État-nation nous intéresse pour situer les acteurs des discussions qui depuis des années, sur la scène des Nations unies, mettent face à face les représentants de l’État et ceux des peuples autochtones dans un jeu à la fois politique, normatif et technique. Le résultat des discussions, entre autres la DNUDPA, scelle le principe de la reconnaissance de ces ensembles en droit international et ouvre la voie à la redéfinition de leur place dans la communauté, étendue à l’humanité comme l’exprime Wilton Littlechild, pionnier du mouvement mondial pour les droits des peuples autochtones, premier membre amérindien du Parlement canadien, ancien rapporteur de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones (Ipnuqa) et membre du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones (Medpa) :

Excellences, on peut affirmer que l’ONU a réussi, avec l’importante contribution des dirigeants et représentants autochtones, à ce que les peuples autochtones fassent maintenant partie de l’humanité avec l’égalité des droits et des libertés. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones clarifie la Déclaration universelle des droits de l’homme et dit comment elle s’applique pour notre survie, notre dignité et notre bien-être. Ainsi qu’un Aîné m’a demandé de vous le dire : « Maintenant je ne suis pas un objet, je ne suis pas un sujet, je suis un être humain ! » [25].

A. Pourquoi fallait-il reconnaître la nature de « peuple » aux populations autochtones ?

13. Selon l’historien sámi norvégien, Henry Minde, la première fois que les questions autochtones furent traitées aux Nations unies (dans des chapitres spécifiques) date du rapport qu’Hernán Santa Cruz consacra, en 1970, à la discrimination économique, sociale et culturelle des minorités [26]. Diplomate auprès des Nations unies, ce juriste d’origine chilienne n’envisageait pas de traiter les populations autochtones de manière spécifique. Il le fit sous l’influence de l’Unité populaire qui venait d’arriver au pouvoir, le gouvernement de Salvador Allende étant sensible aux revendications en faveur des droits fonciers autochtones [27] dans le contexte des projets de réforme agraire. Il ouvrit un dossier consacré aux mesures prises en connexion avec la protection des peuples autochtones puis un autre consacré aux problèmes des populations autochtones [28]. Ce rapporteur concluait sur la nécessité de faire une étude spécifique non exclusivement centrée sur la discrimination et envisageant la question des « droits individuels et égaux ». Augusto Willemsen-Díaz, alors jeune fonctionnaire à la Sous-Commission de prévention des discriminations et la protection des minorités de l’ONU, l’aida à identifier un problème auquel il était sensible de par ses origines guatémaltèques [29]. C’est à cette époque que fut élaboré, avec l’aide du même fonctionnaire onusien, un autre rapport qui accéda à une plus large notoriété dans lequel José Martinez Cobo, un professeur de sociologie équatorien mandaté en 1971 par le Conseil économique et social des Nations unies pour étudier les situations de discrimination à l’encontre des populations autochtones, produisit un effort de définition. Martinez Cobo articule les concepts de « population » et de « peuple et nation » à travers un faisceau de critères, pour ainsi préciser que les populations autochtones :

sont les peuples et nations qui présentent une continuité historique avec les sociétés précédant la conquête et la colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la société dominant aujourd’hui ces territoires totalement ou partiellement. Ils constituent, aujourd’hui, des secteurs non dominants de la société et sont déterminés à préserver, développer et transmettre aux générations futures leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, sur la base de leur existence continue en tant que peuple, en accord avec leurs propres systèmes culturels, leurs systèmes légaux et leurs institutions sociales [30]].

14. Chacun des termes de ce court paragraphe qui constitue une « définition de travail » prête à interprétation [31] mais l’approche multicritère (mobilisant l’histoire, la géographie, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, le droit et la science politique) offre l’intérêt de dés-essentialiser les sujets, ce qui explique probablement la durabilité de son usage. Cela était nécessaire parce que les peuples en question ont été (et sont encore) le fruit de constructions historiques, raciales et discriminantes. Mais cela n’est pas suffisant puisque le législateur ou le magistrat sont amenés à vérifier la situation de peuples demandant à être reconnus comme autochtones, en sollicitant des expertises externes, notamment ethnologiques puisqu’il est question d’identité ethnique. Notons ici que l’étymologie grecque de la racine [ethno – ἔθνος] signifiant « famille, tribu, nation ou pays » renvoie à une vision occidentale de l’altérité, contrairement au terme [dêmos] « peuple » porteur d’une vision du politique. En établissant une liaison entre [populations autochtones] et [peuples et nations], Martinez Cobo ouvre la voie à une inflexion significative puisque le terme [population] n’a aucune connotation normative en droit international contrairement à celui de [peuple]. Cette définition de travail établit une identité générique, compatible avec une universalisation indispensable à l’approche des droits humains à l’échelle de la planète qu’une particularité des discours onusiens encourage. En effet, l’expression est régulièrement employée au pluriel, comme si cette option permettait de dépasser les contingences nationales qui bloquent la reconnaissance en droit.

15. Les représentants autochtones qui avaient bien saisi l’importance de la distinction, manifestèrent, en 1993 lors de la Conférence de Vienne sur les droits de l’homme, leur adhésion au [s] qui, en anglais établit la distinction entre people « population » et peoples « peuple » [32] : ils brandirent des pancartes indiquant ces mots : « We are peopleS  ». Ce faisant ils réaffirmaient la nature des entités dont il s’agissait de reconnaître les droits collectifs et pas seulement les droits individuels, qui appartiennent à tout individu sans distinction de race, de sexe, de couleur ou de religion. Ce geste induit une flexion dans la définition des droits humains, attachés à la personne depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, élaborée dans le contexte d’une après-guerre particulièrement sensible aux atrocités commises à l’encontre des personnes en raison de leur appartenance à un groupe, à une religion ou à un courant politique. Le [s] s’est étendu au collectif que forment les peuples autochtones dans leur diversité, raison pour laquelle il est plus courant de lire « les peuples autochtones ont le droit de… » que « le peuple autochtone décide ». Mais pour les anthropologues, comme pour le large public, il n’y a pas vraiment de différence entre « populations » et « peuples », la nuance leur échappe tandis qu’ils continuent à utiliser des catégories comme [ethnie] qui sont l’objet d’une critique dans certains secteurs de la discipline (universités et organisations autochtones), surtout en Amérique latine et en Océanie.

16. Plus de 25 ans furent consacrées à la négociation de la DNUDPA, en raison de la disposition sur le droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes, absolument centrale pour les délégués autochtones et très problématique pour la plupart des États au regard des dispositions relatives au bloc « terres, territoires et ressources » [33]. Les discussions opposèrent principalement les États puissants qui votèrent contre la DNUDPA en 2007 et les délégués autochtones, notamment ceux provenant de ces mêmes pays. Dans le contexte de ces négociations, les représentants de pays comme le Royaume-Uni ou la France, ardents défenseurs des droits individuels et moins concernés par la présence de peuples autochtones sur le territoire national (puisque les ensembles concernés sont situés dans l’Outremer) se montraient très préoccupés des violations de ceux-ci que la reconnaissance de droits collectifs aux peuples autochtones pourrait induire. S’ils pensaient aux droits des femmes et aux droits des enfants, leur lecture des institutions sociales comme des us et coutumes montraient surtout l’écart des représentations et des savoirs séparant les mondes étatiques et les mondes autochtones.

B. Les définitions conventionnelles

17. Dans l’histoire moderne de la reconnaissance de droits aux collectivités autochtones, l’OIT a été le premier organisme à se pencher sur la situation des dits « indigènes » avec une étude pionnière sur leurs conditions de travail en 1921 [34]. Ces travaux sont à l’origine d’une intense activité qui se concrétisa par l’adoption d’une série de conventions [35]. En 1957, elle adopta la Convention 107 relative aux populations aborigènes et tribales (C. 107) laquelle, à la différence des instruments la précédant, aborde différents aspects de la vie des autochtones et plus seulement leur situation par rapport au travail. Mais depuis une perspective assimilationniste, visant à intégrer politiquement, socio-culturellement et économiquement l’indigène à la société nationale, cet instrument s’inscrivait dans l’esprit intégrationniste de l’époque, coordonné en Amérique du Sud par l’Institut indigéniste interaméricain, fondé en 1940 au Mexique.

18. L’OIT engagea un processus de réforme de cette Convention en même temps qu’au sein des Nations unies le Groupe de travail sur les populations autochtones travaillait à la rédaction du projet de Déclaration. Le Comité d’experts, convoqué en vue de cette révision, recommanda de s’inspirer des conclusions de l’étude de José Martínez Cobo [36]. En 1989, l’organisation tripartite (composés de représentants des États, des entreprises et des syndicats) adopta la Convention 169 relatives aux peuples indigènes et tribaux (C. 169), négociée sans la participation de représentants autochtones. Ces conventions constituent les deux instruments juridiquement contraignants dédiés aux questions autochtones. Consciente des évolutions terminologiques liées à l’adoption de la DNUDPA, l’OIT publia, en 2009, un Guide sur les droits des peuples autochtones et tribaux dans la pratique [37] destiné à interpréter la C. 169 à la lumière du droit international actuel et employant le vocable consacré en français.

19. La formulation de 1957 posait un double problème en indiquant une norme de référence du développement – comme s’il s’agissait d’un processus linéaire – et en présupposant l’homogénéité de la communauté nationale. Elle se comprend dans le contexte de l’époque dans lequel, en dehors de toute participation autochtone, la communauté internationale débattait des politiques de décolonisation tandis que les États-nations mettaient en œuvre des politiques d’assimilation. Le libellé de la C. 169, accepté en 1989 par une communauté internationale plus large que celle de 1957, permet de noter l’affranchissement du paradigme évolutionniste dominant la réflexion avec la référence implicite au stade supérieur de développement atteint par les pays occidentaux. Demeure l’idée de « différence » sans connotation hiérarchique. Mais la référence à la notion de « communauté nationale » offre comme seul horizon une intégration des populations autochtones dans un ensemble globalement rattaché à l’État indépendant [38], idéalisé par le modèle d’un État unitaire. En commun, les deux conventions reconnaissent l’autonomie de ces secteurs de « populations » (C. 107) ou de « peuples » (C. 169), en tant qu’ils sont

régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale.

20. L’alinéa b de l’article 1 de chacune des conventions introduit un deuxième niveau de précisions de ces populations/peuples. Dans la C. 107,

[elles] sont considérées comme aborigènes du fait qu’elles descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation et qui, quel que soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles de cette époque qu’aux institutions propres à la nation à laquelle elles appartiennent.

Dans la C. 169, ces peuples,

sont considérés comme indigènes du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles.

Alors que le terme [aborigène] renvoie dans la C. 107 à l’idée d’un développement séparé de celui de la nation et figé dans le temps (« cette époque »), le terme [indigène] de la C. 169 accompagne l’idée de la conservation d’institutions particulières, une perspective qui permet de penser que les secteurs de la communauté nationale sont contemporains.

21. Le fait que la C. 169 s’affranchisse du vocable [populations] pour retenir celui de [peuples] témoigne d’une évolution significative pour reconnaître le caractère collectif des entités concernées. Elle ne fait plus référence à l’expression « les membres des populations tribales ou semi-tribales » mais à celle de « peuples tribaux ». Dans la C. 107, l’usage du terme [semi-tribales] réfère à des entités qui semblent inscrites dans une espèce d’entre-deux temporel et politique :

Aux fins de la présente convention, le terme semi-tribal comprend les groupes et personnes qui, bien que sur le point de perdre leurs caractéristiques tribales, ne sont pas encore intégrés dans la communauté nationale.

La C. 169, elle, transfère le poids de l’identification des personnes concernées sur les sujets collectifs en mettant en avant le sentiment d’appartenance :

Le sentiment d’appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s’appliquent les dispositions de la présente convention.

22. L’OIT fait référence à une notion de « tribu » qui n’est pas reprise dans la DNUDPA. Mais elle a changé les termes de référence à ces communautés sur trois plans : 1) en remplaçant le vocable [populations] dont les membres sont sujets de la convention par celui de [peuples] ; 2) en renonçant au jugement selon lequel leurs « conditions sociales et économiques correspondent à un stade moins avancé que le stade atteint par les autres secteurs de la communauté nationale » pour promouvoir l’idée qu’ils « se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques » ; 3) en remplaçant la notion de [aborigènes] par [indigènes], puis [autochtones] dans le Guide de mise en œuvre. Le vocable demeure dans l’intitulé de la convention en français qui ne peut être modifié d’un trait de plume, celle-ci ayant été ratifiée par vingt-deux pays [39]. Toutefois elle limite l’interprétation du terme [peuple] dans la C. 169 par le biais d’une disposition à l’alinéa 3 de l’article 1 qui stipule que

L’emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s’attacher à ce terme en vertu du droit international.

Cette réserve a été interprétée par les organisations autochtones comme une technique visant à maintenir une condition subalterne : en tant que peuples indigènes ou tribaux, recevant un traitement qui ne présume pas de leur égalité de droits avec les peuples du monde. Elles se sont efforcées de sortir de cette position liminaire par la voix de leurs représentants à l’ONU, en dénonçant la réserve qui a longtemps accompagné le terme [peuple], sous forme d’un astérisque dans le projet de déclaration [40].

C. L’équilibre trouvé par la DNUDPA

23. La rédaction finale du texte qui a été approuvé par le Conseil des droits de l’homme en juin 2006 est due au président du Groupe de travail sur le projet de déclaration, Luis-Enrique Chávez. Celui-ci explique comment il a cherché un équilibre pour parvenir à un certain consensus [41] entre les États membres qui disposent seuls du droit de voter à l’Assemblée générale, sans s’aliéner le soutien des organisations autochtones qui participèrent durant vingt-cinq ans aux négociations. Comme le note Nigel Crawhall, c’était la première fois que les bénéficiaires participaient à la négociation d’un instrument leur bénéficiant [42] et, pour Claire Charters, cette participation est une source de légitimité de la DNUDPA [43]. Il demeure que Chávez devait régler la question du champ d’application de la Déclaration comme celle d’une définition de qui est autochtone [44]. Lors de la dernière session du Groupe de travail sur le projet de déclaration, en janvier 2006, il restait quelques points de blocage et après que le document a été adopté par le Conseil des droits de l’homme, au moment de passer devant l’Assemblée générale, une manœuvre dilatoire du bloc africain soutenu par les pays CANZUS relança d’intenses opérations de lobbying pour parvenir à l’équilibre du texte qui sera adopté le 13 septembre 2007. Certains libellés furent reformulés, mais l’article 3 consacrant le droit à l’autodétermination fut conservé.

24. La DNUDPA ne comprend pas l’article 8 du projet de déclaration relatif à l’auto-identification et au « sentiment d’appartenance » évoqué par la C. 169 et reconnu comme essentiel par les organisations autochtones. Mais elle établit dans son article 33 le droit de décider « de leur propre identité ou appartenance » [45]. Elle ne comprend pas non plus la liste des peuples concernés que de nombreux États réclamaient et dont les organisations autochtones contestaient la légitimité. Les premiers craignaient que des mécanismes d’autodéfinition et la reconnaissance par la voie d’un instrument international n’ouvrent la porte à une multitude d’ayants droit : les États-Unis souhaitaient encadrer les conditions de l’auto-identification, la France ne l’admettait pas sur son territoire. Les autochtones, eux, rejetaient les modes de catégorisation étatique. Pour finir, l’actuel article 8 de la DNUDPA précise les obligations de l’État face au droit des peuples autochtones à s’identifier de manière distincte :

Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.

Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :

i. Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique ;
ii. Tout acte ayant pour but ou pour effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources ;
iii. Toute forme de transfert forcé de population ayant pour but ou pour effet de violer ou d’éroder l’un quelconque de leurs droits ;
iv. Toute forme d’assimilation ou d’intégration forcée ;
v. Toute forme de propagande dirigée contre eux dans le but d’encourager la discrimination raciale ou ethnique ou d’y inciter.

25. On note à l’alinéa 1 de cet article la double référence à [peuples] et à [individus]. Ce fut l’une des clauses les plus débattues. Résistant certains à l’emploi du vocable [peuples], les États acceptaient de manière consensuelle le terme [population] compatible avec les techniques de recensement des individus qui fondent leur régime de souveraineté [46]. Les juristes autochtones (ou alliés) interprétaient cette réserve comme le moyen de ne pas reconnaître une personnalité juridique internationale. Dans le Groupe de travail sur le projet de déclaration, la volonté manifestée par certains États (États-Unis d’Amérique et Royaume-Uni, entre autres) [47] de réintroduire les individus autochtones dans un projet concernant le droit des peuples, se doublait de tentatives pour remplacer l’expression « ont le droit de… » par « sont libres de… ». Cela était interprété par les délégués autochtones comme une ruse pour tenter d’opérer in fine, au moment où les États voteraient en Assemblée générale et sans que des représentants autochtones soient associés à la décision, une substitution globale de l’expression [peuple autochtone] par celle de [individu autochtone], ce qui ruinerait la possibilité de recouvrer les droits collectifs réclamés. Mais les États d’Amérique du Sud et du Centre, notamment ceux qui avaient procédé à des réformes constitutionnelles sous la pression des mouvements sociaux lors de leurs transitions démocratiques [48] et ceux qui s’engageaient dans une nouvelle relation après des Accords de paix (par ex., Guatemala en 1996) ne partageaient pas ces réticences vis à vis de la reconnaissance comme [peuples] ou [nations] et ils engagèrent tout leur poids soutenir les demandes autochtones.

26. Pour finir, la DNUDPA établit une forme d’équilibre entre les références aux droits collectifs et aux droits des individus. Le terme [individus] est inscrit aux articles 1, 2, 6, 8, 9, 17 tandis que les articles 14, 22 et 44 font référence aux autochtones « notamment anciens, femmes, enfants, handicapés ». La réintroduction des droits de l’individu dans une déclaration sur les droits des peuples permit l’adoption de l’article 3 qui consacre le droit à l’autodétermination dont le libellé ne pouvait être amendé, calé sur l’article 1 des Pactes sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques sociaux et culturels adoptés en 1966 :

Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

L’adoption de la DNUDPA fut aussi rendue possible, après vingt-cinq ans de négociation et plusieurs drames émotionnels, par la rédaction des deux articles finaux :

Article 45 : Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme entraînant la diminution ou l’extinction de droits que les peuples autochtones ont déjà ou sont susceptibles d’acquérir à l’avenir.
Article 46 : Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un peuple, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d’amoindrir, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique d’un État souverain et indépendant.

Ces dispositions ouvrent l’horizon de la mise en œuvre de formes « alternatives » d’autodétermination. Cela peut passer par la construction des autonomies, prévue à l’article 4 ou par les politiques de consultation en vue d’obtenir le consentement préalable, libre et informé, un droit prévu aux articles 10, 11, 19, 28, 29, 30 et 32.

27. Les juristes se penchent sur « l’ambiguïté constructive » de la DNUDPA [49] en analysant la portée des droits collectifs énoncés, dont la plupart figurent dans le droit international. Le principal apport de cet instrument de « droit mou » (soft law) est d’étendre aux peuples autochtones un droit reconnu aux peuples en général, posé à l’article 1 de chacun des pactes internationaux adoptés en 1966, relatifs aux droits civils et politiques d’une part, aux droits économiques sociaux et culturels d’autre part.

D. Le droit à l’autodétermination aujourd’hui

28. L’obtention de la personnalité juridique permet l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, un principe sur l’interprétation duquel les juristes et les autochtones continuent de décliner leurs arguments dans les réunions internationales et les séminaires d’experts. L’enjeu est de décharger les demandes de reconnaissance de ce droit de la charge négative que les États lui attribuent pour des motifs qui tiennent autant à leurs systèmes juridiques et constitutionnels (la France par exemple ne connaît qu’un seul peuple, le peuple français) qu’à leur volonté de contrôler sur un plan interne (domestic en anglais) les groupes qui mobilisent les avancées du droit international.

29. Le fond du débat ainsi qu’il a été notamment argumenté par les délégués autochtones repose sur la question de savoir si le droit à l’autodétermination est un droit des peuples, jus cogens, lequel n’est pas qualifié en droit international ou s’il s’agit d’un droit des États. Cette interprétation permet à ceux qui la retiennent d’introduire une distinction entre deux formes d’exercice de l’autodétermination. Par la première, dite « interne », les gouvernements en place peuvent concéder une autonomie politique, territoriale ou régionale, dans les conditions qu’ils déterminent et qui peuvent être révoquées par des changements de majorité politique ou d’ordre constitutionnel. La seconde, elle, est dite « externe » dans la mesure où la revendication d’autodétermination s’accompagnerait d’une volonté de scinder le territoire pour établir un nouvel État : celle-ci interfère avec deux principes du droit international auxquels les États sont particulièrement attachés, à savoir la défense de l’intégrité territoriale et leur souveraineté politique.

30. Avec le glissement terminologique de [populations] vers [peuples], le débat sur l’autochtonie revêt une portée plus large si l’on suit toutes les implications du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dans les domaines de la culture, de l’économie, du social, du politique, de l’administration et du juridique. Ainsi précise l’article 4, le seul qui se réfère à la question de l’autonomie dans la DNUDPA :

Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.

31. Les arguments et les études de cas qui renvoient à des situations concrètes montrent qu’une majorité des peuples concernés par la mise en œuvre des droits internationaux – et, dans certains pays, des droits constitutionnels – cherche ou obtient une personnalité juridique pour gagner en autonomie et exercer des droits civils, politiques, sociaux ou économiques propices au maintien de sociétés culturellement distinctes, sans souhaiter la formation d’un État indépendant. Rares sont les acteurs autochtones qui mobilisent à cette fin le Comité des Nations unies pour la décolonisation [50]. À part certains délégués qui demandent que leur territoire soit inscrit sur la liste qu’examine ce comité tels les Polynésiens de Hawaii (membres de la famille linguistique austronésienne maori–maohi) [51], ils cherchent des solutions pour exercer ce droit dans le cadre des structures démocratiques des États qui les englobent.

32. Après le réductionnisme, l’assimilationnisme et l’intégration forcée, toutes politiques qui prenaient les populations indigènes pour cibles avec une finalité d’extinction de leurs identités et cultures de la part des colons et des sociétés dominantes, les représentants autochtones qui participent du dialogue aux Nations unies semblent prêts à s’engager dans des relations de partenariat dans une construction politique dont ils seraient des acteurs reconnus. En se qualifiant comme [peuples] et en bataillant pour le maintien d’une marque plurielle [s], les organisations autochtones revendiquent leur différence pour affirmer la pluralité du monde et convoquer une éthique collective du lien entre les individus et la culture dans laquelle ils s’inscrivent. Comme le dit Mililani Trask, ancien membre de l’Instance permanente représentant la région Pacifique : « Sans – S, nous ne sommes rien de plus qu’une assemblée d’individus et notre culture collective est perdue » [52]. Ce qui vaut pour un peuple vaut pour l’humanité, un lien que soulignent les discours autochtones sur la scène internationale et qui explique leur engagement pour la prise en compte de leurs savoirs dans les domaines du développement durable ou de la lutte contre le changement climatique.

33. Cela les conduit à se différencier des minorités [53] tant parce que les peuples autochtones n’ont pas renoncé de plein gré à leur souveraineté que parce qu’ils ne constituent pas toujours des minorités démographiques ni des minorités nationales et qu’ils ne forment pas des minorités, religieuses ou sexuelles. Parfois en majorité démographique comme en Bolivie ou au Guatemala, ou dans certaines régions, leurs problèmes se différencient de ceux des minorités en raison de l’histoire de leur marginalisation et il semble que le régime de droit international qui consacre le droit des personnes appartenant à des minorités ne leur permettent pas de satisfaire certaines de leurs revendications, notamment foncières. Ainsi, par exemple, si l’objectif est d’encourager la protection (par les États) et la défense (par les membres) des questions intéressant les minorités touchant notamment aux droits culturels (éducation, culture, religion, langue ou santé), l’article 2 de la Déclaration des Nations unies relatives aux droits des personnes appartenant à des minorités (adoptée en 1992) ne consacre pas un droit politique. De même l’article 5 de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe (1995) ne fait qu’inciter les parties à améliorer leurs rapports avec les personnes appartenant à des minorités en renonçant notamment aux politiques d’assimilation.

34. Depuis que se discutent les questions autochtones, les esprits évoluent pour différencier [peuples autochtones] et [minorités]. Cela apparaît dans la Déclaration sur la diversité culturelle (2001), dans la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2006) de l’Unesco ou encore dans la Déclaration de Durban, incluant le programme d’action et le rapport de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Mais ces textes ne font pas référence au droit à l’autodétermination. On voit aussi apparaître dans différents documents une manière de traiter, sans les opposer [peuples autochtones] et [migrants], lesquels peuvent être d’origine autochtone. Cela induit d’autres perspectives de réflexion que la restitution du territoire pour ce qui concerne la remédiation de différents problèmes.

35. Depuis l’adoption de la DNUDPA, on observe un alignement terminologique sur la question de [peuples]. Mais les agences internationales s’entourent toujours de précautions ajustées à leurs lignes de programmes. Ainsi la Banque mondiale se livrait-elle, en 1991, à un premier exercice de définition « agglutinante » :

Les expressions « populations autochtones » « minorités ethniques autochtones » « groupes tribaux » et « tribus répertoriées » désignent des groupes sociaux ayant une identité sociale et culturelle qui les distingue de la société dominante et qui fait qu’ils risquent d’être désavantagés dans le processus de développement » (directives opérations OD 4.20).

En 2005, elle remplaçait le terme [définition] par celui de [identification], précisant qu’elle ne définit pas l’expression [populations autochtones] et estimant que :

L’identité et la culture des populations autochtones sont indissociables des territoires sur lesquels elles vivent et des ressources naturelles dont elles dépendent… les communautés autochtones appartiennent souvent aux segments les plus marginalisés et vulnérables de la population. Il en résulte souvent que leurs statuts économique, social et juridique limitent leurs capacités à défendre leurs intérêts et faire valoir leurs droits sur les terres, territoires et autres ressources productives, ou leur aptitude à participer au développement et à en recueillir les fruits.

La notion de vulnérabilité, ici introduite à propos de « segments de la population », est très utilisée dans le contexte du développement, notamment pour cibler des populations dans les pays qui ne veulent pas désigner explicitement des peuples autochtones, comme la Namibie par exemple. Mais si la Banque mondiale prend soin de ne pas employer le terme [peuple], elle en donne toutes les caractéristiques

[…] l’expression « populations autochtones est employée au sens générique du terme pour désigner un groupe socioculturel vulnérable distinct présentant à divers degrés les caractéristiques suivantes :
les membres du groupe s’identifient comme appartenant à un groupe culturel autochtone distinct et cette identité est reconnue par d’autres
les membres du groupe sont collectivement attachés à des habitats ou à des territoires ancestraux géographiquement délimités et situés dans la zone du projet, ainsi qu’aux ressources naturelles de ces habitats et territoires
les institutions culturelles, économiques, sociales ou politiques traditionnelles du groupe sont différentes de celles de la société ou de la culture dominante
les membres du groupe parlent une langue souvent différente de la langue officielle du pays ou de la région.

En 2017, le Groupe de la Banque mondiale fait référence aux outils et aux organes qui se préoccupent de la mise en œuvre des droits des peuples autochtones, en employant en anglais l’expression [indigenous peoples].

Over the last 20 years Indigenous Peoples’ rights have been increasingly recognized through the adoption of international instruments and mechanisms, such as the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples (UNDRIP) in 2007, the establishment of the United Nations Permanent Forum on Indigenous Issues (UNPFII), the Expert Mechanism on the Rights of Indigenous Peoples (EMRIP), and the UN Special Rapporteur on the Rights of Indigenous Peoples (UNSR) [54].

II. L’arrivée des « droits des peuples autochtones » en anthropologie

36. Du point de vue de l’anthropologie politique, la catégorie [peuple autochtone] ne renvoie à aucun groupe singulier. D’un côté, les déterminations étatiques varient selon les histoires politiques, les langues, les structures démographiques des pays et leurs expériences des relations inter-ethniques ou interculturelles. De l’autre, les groupes sociaux en question sont aujourd’hui portés à affirmer leurs identités propres, en remettant en circulation les autodénominations qui avaient été invalidées par le processus colonial : ainsi les [Orejones] se nomment-ils Maijuna, les [Esquimaux] Inuit et les [Lapons] Sami, pour ne citer que trois exemples de formes péjoratives entre crochets, signifiant respectivement « Grandes oreilles », « Mangeurs de viande crue », « Porteurs de haillons », usitées par les colons en Amazonie et en Arctique. Comme c’est le cas de nombreux ethnonymes, Maijuna signifie « nous, êtres humains ».

37. À partir des années 1980, on assiste à un vaste mouvement de réfutation des formes négatives de désignation des communautés autochtones par autrui, au bénéfice de termes signifiant très souvent « Nous, humain / personne / groupe social » [55]. Lesdits peuples autochtones se conçoivent à travers une catégorie inclusive [nous] formé sur le partage d’une langue, d’une organisation sociale, d’un système de parenté, sur les usages du territoire et des pratiques économiques. Ce partage n’empêche ni les dissensions entre les individus, ni les oppositions entre les groupes mais témoigne d’une cohérence qui a contribué à l’identification de la catégorie d’« ethnie » ou « groupe ethnique ». Indépendamment des discussions relatives à la validité de cette notion et à la nature des relations entre les groupes ethniques [56], la marque du collectif a une valeur symbolique forte, mais non nécessairement exclusive. Elle permet l’énoncé de la formule collective « Nous, les peuples autochtones… », calquée sur les premiers mots de la Charte des Nations unies « Nous, les peuples du monde… » [57]. Cette formulation soutient l’organisation du mouvement autochtone international et s’exprime dans les prises de position de ses porte-paroles lors des différents forums internationaux auxquels ils participent.

38. Au-delà des identités collectives qu’il est important de respecter dans leur diversité, la manière dont les populations autochtones sont traitées par l’État, qu’il soit fort, faible ou failli, produit un agrégat dont le caractère problématique a longtemps échappé aux anthropologues sociaux qui n’examinent pas précisément cet aspect du rapport à l’État ainsi qu’aux politistes pour des raisons tenant à l’histoire de leur discipline plus centrée sur les institutions étatiques. L’une des premières agglutinations que l’on connaisse est bien celle énoncée par Cristobal Colon lorsqu’il dénomma « indiens » ceux qu’il rencontra sur les plages où il débarquait croyant avoir trouvé les Indes. Plus de 500 ans après, les Wayãpi (au Brésil) comme d’autres peuples en Amérique se demandent toujours pourquoi au nom de cette erreur ils sont pris dans un modèle étatiste commun « indigéniste » [58]. L’appellation a fait couler beaucoup d’encre et selon les périodes « être indien » fut stigmatisant puis revendiqué [59]. Pour l’Amérique latine trois auteurs observent que :

El indio, el indígena, el nativo, el aborigen, el originario, et par extension el campesino (paysan) constituent autant de déclinaisons nominatives successives qui mettent en évidence un traitement spécifique et continu, historique et légal de l’autochtone dans cette région [Amérique du Sud et du Centre] si diversifiée. Certains termes sont aujourd’hui abandonnés, voire prohibés, d’autres sont toujours en vigueur. Selon les pays, ils sont usités de manière formelle ou informelle, exclusive ou concurrente. Toutes ces nominations peuvent être considérées comme des héritages historiques régionaux auxquels vient s’ajouter ce phénomène récent qu’est l’utilisation croissante de noms de peuples précis, officialisés ou résultant d’un processus d’auto-nomination, qui rappelle la composition extrêmement diversifiée de la catégorie sociale et politique de l’autochtonie [60].

39. Ne pas nommer ou mal nommer sont deux processus distincts qui ont produit des effets de méconnaissance des sociétés concernées par l’actuelle reconnaissance en droit international, ce qui une source de discrimination. C’est pourquoi dans une perspective d’anthropologie politique qui s’intéresse à l’État et à ses transformations contemporaines tout comme au destin politique des sociétés dont l’étude relève de l’ethnologie, il est important de considérer la catégorie [peuples autochtones] non comme une catégorie substantielle – que personne ne parvient à définir – mais comme une catégorie politique et relationnelle. On ne peut appréhender la question des peuples autochtones en dehors du champ politique qui la constitue ni séparément des composantes sociales qui déterminent un rapport de forces dans ce champ. La catégorie opère dans le champ du droit que les anthropologues identifient dans certains domaines, l’ethnologie du droit restant confidentielle, comme l’indique Boris Barraud [61]. Elle opère à des échelles que ne fréquente pas la majorité des individus concernés – les sphères politiques étatiques, locales ou internationales – mais touche toutes les communautés susceptibles de relever de cette catégorie. C’est pourquoi l’une des problématiques suivant l’adoption de la DNUDPA est celle de la mise en œuvre, laquelle pose la question de l’implication des collectifs concernés.

40. Alors que faire de la catégorie [peuple autochtone] si elle ne reflète pas le point de vue emic, de l’intérieur du groupe social étudié (« l’objet » pour la science occidentale) mais le point de vie etic, c’est à dire celui de l’observateur (qu’il soit savant, politique ou expert en développement) ? La réponse est assez complexe car selon le point de vue disciplinaire d’une part et le positionnement du chercheur (occidental ou non) au regard de la demande sociale d’autre part, la réponse peut conduire à la poursuite d’analyses indifférentes à la condition des sujets qui demeurent « objets d’étude » [62] ou à l’adoption de pratiques de recherche collaborative [63].

41. Les anthropologues reconnaissent la valeur des processus d’auto-identification qu’ils appellent ethnonymes et qui sont plus importants dans leurs études que la catégorie générique [peuple autochtone]. Dans le contexte des droits autochtones, où l’auto-identification est considérée comme un critère fondamental, allant de pair avec les notions de « modes de vie traditionnels », des institutions propres, une singularité culturelle, ils ne sont pas seulement invités à repenser leurs méthodes de recherche sur une base éthique, sachant que certains d’entre eux sont employés par les entreprises privées pour identifier les impacts culturels des projets de « développement ». Ils sont aussi susceptibles d’appuyer les recours des peuples ou individus autochtones devant les tribunaux, les magistrats sollicitant leur expertise pour obtenir les données historiques légitimant la demande de tel requérant [64] ou des explications sur les manières d’être et de faire afin de pouvoir se prononcer, par exemple sur le caractère ancestral ou « traditionnel » d’une pratique.

42. Du point de vue des anthropologues, la « tradition » est matière à discussion, puisque comme l’observe Gérard Lenclud, l’emploi du terme présente des inconvénients :

En effet, il contribue à la consolidation d’un cadre de référence intellectuel, constitué par un système d’oppositions binaires (tradition/changement, société traditionnelle/société moderne) dont la pertinence se révèle tout à fait problématique si l’on affecte à ces oppositions une valeur générique [65].

Le cadre de cet article ne permet pas de discuter la question du rapport entre tradition et modernité, dont certains aspects nourrissent la problématique de l’« authenticité culturelle » qui se pose dans le contexte des politiques de reconnaissance devant les tribunaux appelés à statuer sur la question de la « continuité » (entre les requérants et de premiers occupants) et qui fait surface dès lors qu’un groupe ou un individu ne présente pas les caractéristiques distinctives de la culture auquel il « appartient ». C’est l’un des problèmes au cœur des processus de restitution foncière [66]. L’anthropologie voit aujourd’hui la culture comme un processus continu de transformations mais les écrits anciens des ethnologues demeurent une source de connaissance, un objet de documentation, utilisés dans différentes stratégies de récupération des langues, des savoirs, des pratiques. C’est ici que la discipline se confronte à un problème particulier car, si elle a bien décrit des organisations sociales et des institutions politiques propres, elle ne mesure guère le poids que la notion d’institutions et de lois propres acquiert dans le contexte de leur revalidation fonctionnelle par le droit international. Rappelons que l’article 5 de la DNUDPA indique que :

Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’État.

43. Après les efforts conceptuels de Marc Abélès pour caractériser l’anthropologie des institutions [67] qui l’ont porté à valider la fécondité de la méthode anthropologique pour examiner la question de l’État en remettant en question le « grand partage » entre l’anthropologie et la science politique, la première qui serait spécialiste du « pré-étatique » voir du « contre l’État » [68], la seconde de l’État, il est important de reprendre la question des institutions autochtones pour les inscrire dans l’ensemble plus vaste des institutions politiques et juridiques nationales et internationales. Le point n’est pas exempt de difficultés tant il s’avère compliqué de cerner un « propre » dans une perspective historique traversée par la domination coloniale qui a délégitimé des « autorités propres » et constitué des « autorités traditionnelles » [69]. Mais il est nécessaire d’entreprendre de nouvelles recherches au regard notamment de l’existence d’un troisième document d’importance dans le champ des droits des peuples autochtones, qui a été adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2014, à l’issue de la Réunion plénière de haut niveau / Conférence mondiale des peuples autochtones (RPHN/CMPA).

44. De même valeur juridique que la DNUDPA, cette autre déclaration des Nations unies s’appuie sur la première et elle cite en annexe le document final de la Conférence mondiale des peuples autochtones qui s’est tenue à Alta (Norvège), en juin 2013, dans le but de préparer la réunion de haut niveau des États [70]. Ce dispositif permet de voir le rôle des peuples autochtones dans la fabrique du « droit mou ». Le document d’Alta résulte d’une volonté du mouvement international autochtone de définir sa vision de « l’après-DNUDPA » et de formuler des recommandations à l’intention des États. L’annexe à la déclaration de l’Assemblée générale représente un gain pour les organisations autochtones, à défaut de voir les États négocier directement sur la base de leur document. Celui-ci est structuré autour de quatre thèmes : les terres, territoires, ressources, eaux et océans des peuples autochtones ; le système d’action des Nations unies ; la mise en œuvre des droits des peuples autochtones ; les priorités des peuples autochtones pour un développement basé sur le consentement libre, préalable et informé. Il appelle, entre autres, à ratifier la Convention 169 de l’OIT et demande aux Nations unies d’élaborer un document de mise en œuvre, ce qui aboutit, en 2016, à l’élaboration d’un Plan d’action à l’échelle du système.

45. Ladite conférence RPHN/CMPA s’est tenue selon des modalités différentes du format « réunion plénière de haut niveau » des Nations unies, en admettant la participation des délégués autochtones aux trois jours que dura la conférence et en les impliquant dans l’organisation des sessions et tables-rondes à parité avec les représentants des États. S’ensuivit un document de quarante paragraphes dont la négociation releva d’un processus distinct et bien plus court que celui de la DNUDPA, qui ne comprend aucune définition ni liste de peuples autochtones et est orienté sur la mise en œuvre des droits.

46. Son troisième paragraphe fait référence à la notion – importante pour les peuples autochtones – de « leurs propres institutions représentatives » [71], dans le contexte des engagements que les États ont pris de « coopérer de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés ». Ce segment de phrase témoigne de l’esprit qui est né de la dynamique entourant la reconnaissance de droits aux peuples autochtones. L’anthropologue peut rester sceptique devant la notion de coopération de bonne foi, au regard de la manière dont les États procèdent dans un certain nombre de domaines mais le point qu’il convient ici de souligner est que l’accent se déplace de la définition des peuples autochtones à celle de leurs institutions représentatives.

47. D’un côté, on note que la C. 169 de 1989, la DNUDPA de 2007 et le document final de la RPHN/CMPA de 2014 mentionnent l’existence d’« organisations sociales propres », d’« institutions politiques propres » en sus de « coutumes et lois traditionnelles ». De l’autre, on observe que les États déploient différents mécanismes, institutions ou agences pour régir le domaine des questions autochtones. Dans ce contexte, il s’agit de savoir de quelles institutions on parle (et qui en parle). Depuis 2014, la reconnaissance de dispositifs de représentation dérivant d’institutions politiques propres sont au cœur des négociations qui se déploient sous l’autorité du président de l’Assemblée générale des Nations unies accompagné de quatre co-facilitateurs, deux étatiques et deux autochtones. Les délégués autochtones sont nombreux à contester le modèle de l’ONG comme base de leur « participation aux affaires qui les concernent » [72]. Si le format ONG a pu être un véhicule utile à l’expression de leurs représentants (sous réserve de leur accréditation aux Nations unies), il ne répond pas à leur pensée politique ni à leurs conceptions de l’autorité. Toute définition substantielle des « institutions propres » est impossible, aucune n’étant susceptible de coïncider avec l’extrême diversité des peuples autochtones. Dans ce contexte, les représentants des États – notamment ceux qui ne sont pas engagés dans des transformations structurelles de la relation aux peuples autochtones, par voie constitutionnelle – se montrent préoccupés de réguler, de limiter, la participation des autorités autochtones aux travaux onusiens : les réticences portent sur le nombre potentiel de celles-ci et sur les implications qu’une telle reconnaissance internationale pourrait avoir dans le cadre domestique. De leurs côtés, les organisations autochtones se préoccupent des conditions de la reconnaissance de leurs autorités, des niveaux de la représentation, des problèmes que poserait la rétention du découpage en sept régions socio-culturelles autochtones qui préside aujourd’hui à la sélection des experts membres de l’Instance permanente sur les questions autochtones et du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones [73]. Ce découpage force des regroupements régionaux, problématiques lorsqu’il s’agit d’exercer le droit à l’autodétermination : en résumé, comment un.e représentante pour la région Amérique du Nord pourrait-elle parler au nom des centaines de peuples concernés ? La même question se pose pour chacune de ces régions.

48. Ce problème nous a conduit, au sein de l’équipe SOGIP travaillant sur les échelles de la gouvernance, à

distinguer les institutions mises en place par l’État pour gouverner la « différence autochtone » héritée des politiques de conquête et d’assimilation, des institutions propres dont la reconnaissance et la revitalisation pourraient bien compter dans le cadre de nouvelles politiques publiques [74].

Le droit des peuples autochtones concerne le maintien et le renforcement de leurs institutions politiques, mais aussi juridiques, économiques, sociales et culturelles. Or ce découpage ne répond pas à des domaines différenciés au sein des cultures autochtones. Il convient de différencier les institutions propres autochtones et les institutions créées par l’État afin d’organiser les collectivités autochtones. Les premières ont une pertinence singulière, sont précisément nommées dans la langue du groupe concerné, s’inscrivent dans une culture et se transforment, tout comme les institutions non autochtones. Les secondes sont de nature étatique, ou hybride lorsque les institutions fondues dans le moule étatique sont réinvesties par certains éléments culturels autochtones. Les institutions étatiques en question peuvent être qualifiées de néo-indigénistes : on citera pour exemple la Conadi – Corporación nacional de desarrollo indígena, (au Chili), le CDI – Comisión de Desarollo Indígena (au Mexique) ou le Bureau des affaires indiennes (aux États-Unis). À côté de ces institutions, d’autres organisations s’activent dans le champ de la « gouvernance des questions autochtones » sous la forme d’entreprise de service (corporation dans le modèle anglo-saxon), d’association (loi 1901, dans le modèle français) ou d’organisation non gouvernementale (régi par différents statuts).

49. Ce domaine des institutions de la gouvernance représente un champ relativement nouveau pour les anthropologues [75] et ouvre un horizon de collaborations interdisciplinaires, notamment pour relier analyses formelles et pratiques sociales, le point de vue des structures et des normes et celui des cultures et des langues pour dire « le gouvernement de soi ». Le cadre de cet article ne permet pas de préciser les points qu’une recherche comparatiste permet de dégager mais l’on observe plusieurs modalités de redéfinitions des relations entre peuples autochtones et États, certes marquées par l’histoire et les formes de la reconnaissance juridique mais constituant aussi de sérieux cas pour examiner les mutations de l’État contemporain.

III. Le renouveau de l’intérêt pour la notion de pluralisme juridique

50. Il existe aujourd’hui un domaine « droits des peuples autochtones » non disputé, du moins en droit international et au sein du champ des droits humains. Les juristes s’y intéressent et force est de constater que l’intérêt est plus soutenu au Québec qu’en France. On observe aussi que c’est dans les mondes américains (surtout au Nord) qu’apparaissent des juristes autochtones qui s’impliquent dans une multitude de cas, publient et participent aux traitements onusiens des questions autochtones. On peut sans doute rattacher cela à la différence des traditions juridiques (common law ou droit romano-germanique) et aux efforts qui ont été réalisés pour former une élite autochtone. Le cadre de cet article ne permet pas de revenir sur le traumatisme de la politique des pensionnats, ni d’expliciter les changements dans les politiques publiques éducatives dans les Amériques comme en Australie et en Nouvelle-Zélande. Mais le fait est que l’on n’observe pas ces mêmes dynamiques en France où l’on peut compter individuellement les personnes autochtones qui accèdent à l’université, choisissent le droit ou l’anthropologie et s’impliquent dans les questions de droits humains.

51. Sans entrer dans les détails, au Canada, pays de common law, les décisions de justice jouent un rôle essentiel dans la fabrique du droit. Les autochtones plutôt bien organisés, démonstratifs, objets comme acteurs d’une « nouvelle relation » avec l’État et la société, saisissent les tribunaux et s’impliquent fortement dans les négociations avec l’État comme on le note aujourd’hui à propos de la région arctique que le changement climatique ouvre au « développement ». Des programmes de recherche, soutenus par l’équivalent du CNRS français, analysent les questions de gouvernance, proposent des voies pour un changement systémique, soutiennent un dialogue transdisciplinaire avec des acteurs autochtones impliqués depuis leurs territoires et dans les capitales provinciales et fédérale, dans la construction de cette « nouvelle relation ». Celle-ci se construit inégalement selon les gouvernements en place mais régulièrement, depuis 1991, date de la création de la Commission royale sur les peuples autochtones qui avait « pour mandat de faire enquête sur les problèmes qui nuisent aux rapports entre les peuples autochtones (Premières Nations, Inuit, Métis), le gouvernement du Canada et la société canadienne dans son ensemble, afin de proposer des solutions à ces problèmes ». Le cadre de cet article ne permet pas de préciser le dispositif étatique en place dans un État qui distribue les compétences entre niveaux (Fédéral, des Provinces et des Territoires) mais le fait est que les juristes suivent de près cette relation et que leurs travaux dans le domaine du pluralisme juridique ouvrent des pistes de réflexion stimulantes pour l’anthropologie. Par rapport à l’objet de cet article, je citerai Jean Leclair, fin connaisseur des décisions de la Cour suprême, lorsqu’il observe que les tribunaux ont besoin de certitudes et que l’un des problèmes posés par le droit est le risque d’essentialisation.

Puisque l���occupation du territoire par les autochtones avant l’arrivée des Européens est le fondement des droits ancestraux, la Cour suprême souligne que « c’est à cette période antérieure au contact que les tribunaux doivent s’attacher dans l’identification des droits ancestraux ». C’est donc dire que pour être authentiquement autochtone, une activité devra avoir été exercée avant le contact avec les Européens, être intimement liée au mode de vie du groupe revendicateur et n’avoir pas été le fruit exclusif d’une influence européenne. En somme, une pratique, une activité ou un mode de vie dépourvu d’« authenticité » autochtone ne pourra jamais être qualifié de droit ancestral. C’est ce qui explique que les droits ancestraux reconnus jusqu’à présent possèdent tous un caractère « hollywoodiennement » autochtone [76].

52. Cela touche les anthropologues notamment parce que la lecture de leurs travaux des décennies après qu’ils aient été produits montre l’essentialisation produite par une ethnologie « vieille école » et le décalage avec les travaux contemporains qui prennent acte du changement social. Cela pose la question de l’ancrage temporel, du regard analytique qui est porté, de « la relation » – que l’on doit prendre en considération à toute époque – entre sociétés autochtones et société dominante, voire société globale. Les anthropologues sont susceptibles d’opérer comme des experts qualifiés pour valider « l’authenticité culturelle » du requérant ou l’historicité du groupe sur une portion du territoire national, mais les travaux actuels montrent leurs efforts pour faire évoluer le droit, comprendre ce que la judiciarisation des droits autochtones dit de la relation qui se construit et travailler la relation entre droit étatique et droit autochtone, l’un unifié, l’autre diversifié. C’est dans ce domaine que l’approfondissement du dialogue entre le droit et l’anthropologie peut s’avérer des plus féconds. Il n’est pas question de recenser ou commenter toutes les études existantes en droit ou en anthropologie juridique tant ils sont nombreux, diversifiés et porteurs de riches perspectives. Mais l’on peut pointer quelques pistes d’intérêt pour les questions autochtones à propos desquelles pourraient se construire des collaborations heureuses.

A. Domaines de dialogue à développer

53. Les questions foncières sont au cœur des analyses du droit, de la science politique et de l’anthropologie. Les collaborations s’imposent pour avancer dans la compréhension du dossier « peuples autochtones » en croisant les analyses portant sur les systèmes de normes, de valeurs, de pensée avec l’analyse des conflits, des rapports sociaux et des usages de la propriété.

54. Le processus de la DNUDPA a aussi donné lieu à des discussions fortes sur la question de savoir si les peuples autochtones disposaient de systèmes légaux, de justice par exemple. Pour la plupart des États, le système est étatique mais les anthropologues montrent que plusieurs d’entre eux, notamment en Amérique, reconnaissent des « autorités propres », admettent des formes de justice « traditionnelle » et des études passionnantes pourraient être développées sur les fondements du droit comme sur les formes d’assemblée et de prise de décision, notamment lorsque celles-ci « disent le droit ». Ainsi par exemple, Ghislain Otis, titulaire de la Chaire sur la diversité juridique et les peuples autochtones à l’Université d’Ottawa,

étudie [avec toute une équipe] les liens existant entre les systèmes juridiques autochtones et non autochtones, ainsi que les manières de coordonner ces systèmes pour assurer une régulation sociale et économique respectueuse des identités juridiques des peuples autochtones.

55. Lorsque l’on cherche à savoir de quoi il retourne, on réalise que les catégories étatiques et juridiques sont éloignées des pratiques sociales ou culturelles que les anthropologues peuvent aider à comprendre avec les outils qui sont les leurs. Les autochtones invoquent cet aspect de la distance juridique entre systèmes, dans le contexte de leurs autonomies, comme j’ai pu l’observer en Colombie lors d’une mission réalisée après la signature des Accords de paix entre le gouvernement et la guérilla des FARC, en novembre 2016. Dans plusieurs resguardos, espaces territoriaux autochtones reconnus par l’État et dotés chacun de leur gouvernement propre, le cabildo, des discussions se sont engagées sur la « justice propre » et la compatibilité de son exercice avec la « justice ordinaire » de l’État. Plusieurs enjeux affleurent que le cadre de cet article ne permet pas de préciser, qui touchent à l’identification du délit, à l’exercice du contrôle territorial, aux conséquences de la violence (militaires, para-militaires, guerrilleros, narcotrafiquants), ainsi qu’aux droits des femmes et des enfants, notamment.

56. La distance entre systèmes requiert des clarifications, la formation de capacités « interculturelles » aussi bien des autochtones formés dans les deux systèmes que des juristes du système national invités à comprendre les logiques des autres systèmes. Au-delà de la question des savoirs et savoir-faire (interpréter le litige, identifier la cause, déterminer la responsabilité, imputer la faute, énoncer la sanction, etc.), la résolution des conflits invite à réfléchir sur les principes soutenant l’exercice de la justice : l’un de mes interlocuteurs mizak, en charge des questions de justice dans le territoire (resguardo) de Guambia, mettait en avant la double problématique de la « codification des délits » et du « dosage des peines » pour lesquelles il constatait un écart majeur entre les conceptions propres et le système étatique. Dans une autre partie de Colombie, la Sierra Nevada de Santa Marta, je pus assister à une assemblée des Arhuacos réunie pour aborder la tension entre le système ordinaire de justice (justicia ordinaria, étatique) et le système axé sur le rôle et la personnalité du mamo, l’autorité spirituelle qui donne une interprétation du cas, en connaissance de causes qui dépassent le moment présent et le sujet concerné, et qui juge la situation de déséquilibre dérivée de la « faute » en vue de prononcer une décision destinée à restaurer l’équilibre. Dans ces situations, l’individu s’inscrit dans un ensemble de relations entre entités humaines et non-humaines, plus qu’au cœur d’un code pénal. À ce sujet, Alexandre Surrallés, anthropologue et fin connaisseur du système candoshi en Amazonie péruvienne, décrit l’importance de la relation avec les entités protectrices des humains, du territoire et des pratiques, que la Cour interaméricaine des droits humains qualifie de « spirituelle » Les conclusions d’un article récent donnent matière à réflexion tant pour les anthropologues que pour les juristes, par la liaison qu’il établit avec le cadre plus général des droits des peuples autochtones introduit par la DNUDPA.

C’est précisément sur ce point que, en étant déclaré un élément du système des droits humains, le progrès introduit par la DNUDPA représente une transformation profonde de la subjectivité exprimée par un changement dans l’ontologie du sujet du droit fondamental, qui passe du « sujet pensant » au « sujet sensible » [77].

Remarques conclusives

57. Cet article, axé sur les relations entre anthropologie et droit à propos de l’entrée des peuples autochtones dans le droit international a débuté sur des enjeux terminologiques pour aboutir à la question du sujet de droit. Le débat terminologique s’inscrit dans une histoire de la pensée et les termes revêtent des valeurs distinctes et variables. Cela entraine, en anthropologie sociale et culturelle, une description des formes d’organisation sociale et politique des sociétés selon des catégories propres (emic) dont l’interprétation s’impose pour coïncider avec d’autres catégories reconnues par le droit ou par la science politique, disciplines qui ont forgé leurs outils dans le monde occidental. Cela constitue les enjeux présents d’une approche interculturelle, notion mobilisée par les organisations internationales, type Unesco, ainsi que les objets de réflexion que les juristes traiteront sous le terme de pluralisme juridique.

58. Les politiques étatiques sont productrices de formes d’homogénéisation discutables entre catégories sociales comme l’illustre, par exemple au Pérou, le fait de considérer les « indiens andins » comme appartenant à des « communautés paysannes », alignées donc sur un type de rapport à la terre pour recevoir un traitement juridique distinct de celui destiné aux « communautés natives », catégorie applicable aux « indiens amazoniens » : cette différence est problématique quand il s’agit d’appliquer les droits des peuples autochtones et de mettre en œuvre des politiques de consultation en vue d’obtenir le consentement libre, préalable et informé. En Namibie, l’État reconnaît les autorités traditionnelles des San mais ceux-ci qui ne sont pas connus pour leurs hiérarchies internes ont dû élaborer des modes d’élection, se plier à la notion d’autorité, et se transformer pour entrer dans le champ des politiques publiques dispensatrices de moyens. Au Chili, les formes de reconnaissance étatique de la communauté (avec ses autorités élues – président, trésorier et secrétaire) donnent lieu à l’identification d’autorités mapuche sans rapport avec les autorités propres (spirituelles ou politiques ancrées sur un territoire), ce qui crée entre elles une sorte de compétition contribuant à déstructurer le peuple mapuche. Les groupes considérés peuvent par ailleurs être considérés comme « vulnérables » pour les raisons qu’invoque la Banque mondiale en tant que « segments de la population » ou comme « pauvres », par une mesure de leurs situations économiques à l’aune de critères problématiques [78], notamment lorsqu’ils sont considérés comme ne valorisant pas la terre dont ils ne sont pas propriétaires en titre. Au delà de la question de la propriété foncière dont l’anthropologie juridique s’est saisie depuis longtemps en apportant des analyses tout à fait pertinentes, comme celle de Étienne Le Roy autour du concept de « maîtrise foncière » [79], la connaissance des modes d’organisation et de subsistance est au centre du problème.

59. Partant d’une position analytique admettant l’agentivité des sujets autochtones, individus et collectifs, au niveau international dans la fabrique du droit mou et aux niveaux nationaux dans les processus politiques, mes travaux suivent la piste des effets sociaux du droit plus qu’ils n’engagent une réflexion proprement juridique. L’article met en avant la problématique des modes de classification des entités dont les magistrats sont amenés à traiter des recours qu’elles font au niveau national (tribunaux ordinaires, Cour suprême, Cour constitutionnelle), au niveau régional (Cour interaméricaine des droits humains, Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Cour européenne de justice), ou encore au niveau international (Comités de suivi des instruments de droits humains). Le cadre de cet article ne permettait pas de citer les décisions des cours régionales qui sont suivies de près par les organisations autochtones ni de commenter la manière dont les organisations autochtones se servent des instances internationales pour peser sur les manières nationales de traiter politiquement, socialement et juridiquement les communautés autochtones.

60. L’un des problèmes posés à l’analyse de la mise en œuvre de la DNUDPA est induit par l’existence d’échelles de gouvernance, variables selon les pays et qui amènent à distinguer les degrés et les modalités de saisie des aspects juridiques des questions autochtones dans leurs différents contextes politiques. Un autre problème relève du fait que l’interprétation des droits des peuples autochtones s’inscrit dans les cadres du droit international, la branche des droits de l’homme semblant entrer en conflit avec d’autres branches telles que peuvent l’être le droit du commerce, le droit de l’environnement ou le droit de la propriété intellectuelle, spécialités qui suivent leurs logiques propres. Si le droit des droits humains autorise un système de référencement croisé entre les différents instruments disponibles de droits humains, celui-ci est-il possible avec les autres branches du droit ? Face à ce genre de questions auxquelles l’anthropologie sociale ou politique ne peut répondre, l’anthropologie juridique serait-elle mieux équipée ?

61. Si l’on observe que, pour les anthropologues, les juristes sont souvent du côté du pouvoir dominant alors que le sujet « classique » de leurs études est du côté du dominé voire du marginal, un aspect problématique de leur relation concerne la manière dont les savoirs anthropologiques et les savoirs juridiques collaborent ou entrent en compétition. Dans mon optique d’anthropologie politique, les mobilisations des autochtones, en tant que sujets de droits saisis dans différents processus politiques ont des effets juridiques. Dès lors, la dynamique des situations est au cœur des analyses de la relation entre peuples autochtones et État parce qu’elle témoigne d’un potentiel changement de statut et que l’on ne peut évacuer le fait que les collectifs concernés sont impactés par toute sorte d’interventions d’agents externes à leurs communautés, sources de conflits que le droit est amené à trancher. L’opérabilité du droit jointe à la manière dont sont reconnues les institutions autochtones est la source du renouveau de l’intérêt pour le pluralisme juridique.

62. Les organisations autochtones s’appuient sur la reconnaissance induite par la DNUDPA pour avancer dans les domaines de gouvernance mondiale qui se dessinent à travers les cadres des objectifs du développement durable, de la lutte contre le changement climatique ou de la protection de la diversité biologique, pour ne citer que trois espaces dans lesquels s’implique fortement le mouvement international et qui représentent autant de lieux de tension entre des acteurs de force inégale (États, entreprises, agences internationales, ONG). Dans ces espaces, la plupart des « experts » se montrent indifférents aux questions de droits humains, ignorants des changements de perspective qu’induit la reconnaissance des autochtones comme sujets de droit. Mais la catégorie politique et relationnelle [peuple autochtone] renvoie au droit et inclut la reconnaissance du droit à la citoyenneté, tout en remarquant la nécessité de protéger la différence culturelle. Si le champ est politique avant d’être juridique, c’est le droit qui a établi l’état de subalternité que les organisations autochtones dénoncent et c’est par le droit que l’objectif de « réparation » que convoque la DNUDPA, par principe mais aussi par des mesures précises, pourrait atteint.

Irène Bellier
CNRS, IIAC-LAIOS

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Cet article explique comment la catégorie politique relationnelle [peuples autochtones] suscite de nouveaux débats en anthropologie et en droit. En revenant sur les enjeux linguistiques – l’énoncé de cette catégorie internationale variant selon les langues dominantes tandis que ses usages s’inscrivent dans divers contextes politiques – il précise les enjeux de la différenciation entre les termes de « peuple » et de « population ». Le traitement des questions autochtones induit une série de transformations épistémologiques stimulant une réflexion analytique sur les institutions et les formes de gouvernement du collectif. De nouveaux domaines de dialogue entre anthropologie et droit émergent de cette perspective, notamment sur le sens de la loi, sur les questions foncières qui doivent être repensées à l’aune de la pression des entreprises multinationales (extractives ou agro-industrielles) sur les territoires autochtones ainsi que sur les classifications systémiques.

Notes

[1] Pour le Canada, voir le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1996, https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-autochtone/commission-royale-peuples-autochtones/Pages/rapport.aspx [consulté le 1er décembre 2018] ; pour l’Australie, voir le rapport de la Commission australienne des droits humains : Bringing them home, 1997, https://www.humanrights.gov.au/publications/bringing-them-home-report-1997 [consulté le 1er décembre 2018].

[2] Disponible sur le site http://www.newswire.ca/news-releases/national-chief-welcomes-canadas-endorsement-of-un-declaration-on-the-rightsof-indigenous-peoples-respect-partnership-and-reconciliation-will-guidework-to-improve-the-situation-of-first-nation-peoples-and-build-a-546298 [consulté le 4 janvier 2018].

[3] I. Bellier, L. Cloud et L. Lacroix, Les droits des peuples autochtones. Des Nations unies aux sociétés loc, Paris, L’Harmattan, 2017.

[4] H. Minde, Indigenous Peoples : Self-determination, Knowledge, Indigeneity, Delft, Eburon, 2008.

[5] CADHP-IWGIA, Rapport du Groupe de travail d’experts de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les populations/communautés autochtones, Copenhague, Iwgia, 2005.

[6] UN-DESA, State of the World’s Indigenous Peoples, http://www.un.org/ esa/socdev/unpfii/documents/SOWIP/en/ SOWIP_web.pdf, 2009 [consulté le 29 mai 2018].

[7] L’auteure suit depuis 2002 les rendez-vous annuels de quatre organes des Nations unies spécialisés dans les questions autochtones, et ce pour des sessions de travail allant de une à deux semaines : à Genève, de 2002 à 2006, le Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA), créé en 1982, et le Groupe de travail sur le projet de Déclaration (GTPD), créé en 1995, tous deux dissous après l’adoption de la Déclaration par le Conseil des Droits de l’Homme ; à New York, depuis 2002, l’Instance permanente sur les questions autochtones (Ipnuqa) ; à Genève, depuis 2008, le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones (Medpa). Ce suivi implique de participer aux sessions plénières et aux « événements parallèles », informels pour les Nations unies et essentiels à la construction du collectif comme à la circulation des informations. Organisés avant ou après chaque séance officielle, le week-end ou en marge du programme de travail, les « caucus » (assemblées générales thématiques, régionales ou globales) préparent les nouveaux à la connaissance de l’ONU et aux techniques d’intervention en séance. S’y rendent les autochtones et les ONG, mais pas les officiels des secrétariats onusiens, ni les États, sauf invitation expresse. Pour une description de ce mécanisme, voir I. Bellier, « Partenariat et participation des peuples autochtones aux Nations unies : intérêt et limites d’une présence institutionnelle », dans Démocratie participative, cultures et pratiques, dir. C. Neveu, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 175-192.

[8] En Afrique – Botswana et Namibie ; en Amérique – Argentine, Bolivie, Chili, Mexique ; en Asie – Inde, en Océanie – Australie ; et pour la France – Guyane française et Nouvelle-Calédonie.

[9] SOGIP, acronyme anglais du Programme « Échelles de gouvernance : Nations unies, États et peuples autochtones : l’autodétermination au temps de la globalisation » a été financé par le Conseil européen de la recherche, dans le cadre du 7e programme cadre (FP7/2007-2013 Grant Agreement ERC n° 249236) (www.sogip.ehess.fr).

[10] www.justip.hypotheses.org

[11] S. Guyon et B. Trépied, « Les autochtones de la République. Amérindiens, Tahitiens et Kanak face au legs colonial français », dans Peuples autochtones du monde. Les enjeux de la reconnaissance, dir. I. Bellier, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 93-112.

[12] Y.-M. Davenel, « Des inorodcy aux korennye narody : modalités de la reconnaissance
des peuples ‘‘autochtones’’ en fédération de Russie », dans Peuples autochtones, op. cit., p. 165-180, p. 165 : « En février 2009, une ordonnance du gouvernement de la Fédération de Russie portant sur les peuples autochtones numériquement faibles du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient de la Fédération de Russie rappelait en préambule le caractère multinational du pays. Celui-ci énonçait que parmi les 160 peuples (narody) qui le composaient, la très grande majorité s’étaient constitués en communautés ethniques sur le territoire de la Russie et avaient participé à la formation de l’État russe. Cette ancienneté d’implantation et le rôle joué dans la constitution d’un État moderne en faisaient donc des peuples autochtones (korennye narody) ».

[13] V. Xaxa, « La conscience adivasi (indigenous peoples) en Inde », dans Peuples autochtones, op. cit., p. 131-145. Cet auteur cite Niharranjan Ray : « Les communautés actuelles que les anthropologues nomment ‘‘tribales’’ sont indigènes, autochtones (adivasi, adimjati), peuples de la terre, dans le sens où leur installation dans différentes régions du pays est largement antérieure à celle des peuples de langue aryenne. Ces derniers, s’installant d’abord dans les vallées de l’Indus et de Kaboul, se sont étendus graduellement, pendant un millénaire et demi, dans de larges régions du pays où ils ont introduit leur mode de vie et leur civilisation, le long des plaines et des vallées fluviales » (N. Ray, Nationalism in India, Aligah, Aligarh Muslim University, 1973).

[14] S. Simon et A. Mona, « L’autonomie autochtone à Taiwan. Un cadre légal en construction », dans Peuples autochtones, op. cit., p. 147-164. Pour ces auteurs : « Les nuances de la langue chinoise reflètent les débats contemporains sur la question de savoir si ‘‘peuple autochtone’’ (sans – s – final) ou « peuples autochtones » (avec un – s – final) constituent les unités de droits pertinentes. L’adoption de l’expression ‘‘peuples autochtones’’, au pluriel, à l’échelle internationale aussi bien qu’à Taiwan, constitua un tournant décisif dans la perception des droits de l’homme, distinguant ceux des individus par rapport à l’État, de ceux de collectivités historiquement instituées. Les nuances de la langue chinoise n’apparaissent pas dans les traductions anglaises officielles des Articles additionnels à la Constitution, dans lesquels les deux termes sont simplement traduits par ‘‘aborigènes’’ » (note 13, p. 154).

[15] I. Bellier, « Usages et déclinaisons internationales de l’autochtonie dans le contexte des Nations Unies », dans Autochtones : vues de France et de Québec, dir. N. Gagné, T. Martin et M. Pineau Salaün, Québec, Presses universitaires de Laval, 2009, p. 75-92.

[16] Originario del pais de que se trata, dictionnaire Tesoro de la lengua castellana, http://dle.rae.es/?id=LON6TJF [consulté le 1er décembre 2018], ma traduction.

[17] Aujourd’hui renommé Indigenous and Northern Affairs Canada.

[18] https://www.aadnc-aandc.gc.ca/eng/1100100013785/1304467449155

[19] N. Loraux, Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Paris, Le Seuil, 1996.

[20] M. Détienne, Comment être autochtone. Du pur Athénien au Français raciné, Paris, Le Seuil, 2003.

[21] M. Guenther, « The concept of indigeneity », Social Anthropology, 14/1, 2006, p. 17-32.

[22] C. Boidin et F. Hurtado, « Philosophie de la libération et tournant décolonial », Cahiers des Amériques Latines, 62, 2009, p. 17-22.

[23] http://www.espacestemps.net/articles/autochtone [consulté le 1er décembre 2018

[24] A. Appadurai, Modernity at large. Cultural Dimensions of Globalization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1996.

[25] W. Littlechild, « Quand les peuples autochtones gagnent, le monde entier est gagnant », dans La Déclaration des droits des peuples autochtones. Genèse, enjeux et perspectives de mise en œuvre, éd. C. Charters et R. Stavenhagen, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 371-376.

[26] H. Minde, Indigenous Peoples, op. cit, p. 53.

[27] Ibidem, p. 54.

[28] H. Santa Cruz, Racial Discrimination, E/CN. 4/Sub 2/307/Rev., ONU, chap. IX, « Measures taken in connexion with the protection of indigenous peoples » et chap. XIII, §§ 1094-1102, « Problems of indigenous populations », 1970.

[29] Cet article ne permet pas de caractériser toutes les logiques de l’institution onusienne mais, selon Minde, les experts de la Sous-Commission se montraient « plus flexibles et plus ouverts à de nouvelles initiatives que les diplomates de la Commission des droits de l’homme » (op. cit. : 55).

[30] J. Martínez Cobo, Étude du problème de la discrimination contre les populations autochtones, E/CN.4/Sub.2/476 ; E/CN.4/Sub.2/476/Add.5 ; E/CN.4/Sub.2/1982/2 ; E/CN.4/Sub.2/1983/21 (1981-1983) ; E/CN.4/sub 2/1986/87 add 1-4, ONU, 1981-1986, https:// www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/publications/2014/09/martinezcobo-study/ [consulté le 13 juin 2018

[31] Voir l’analyse de ces rapports dans I. Bellier, L. Cloud et L. Lacroix, Les droits des peuples autochtones, op. cit., p. 94-99.

[32] R. L. Barsh, « Indigenous peoples at Vienna : What’s next after the battle of the “S” », dans Addressing Discrimination in the Vienna Declaration : A Guide for NGO’s and Interested Individuals, éd. J. Patel, Tokyo Metropolis, International Movement against all Forms of Discrimination and Racism, 1995.

[33] Sur la genèse de cette expression, voir Terres, Territoires, Ressources. Politiques, pratiques et droits des peuples autochtones, dir. I. Bellier, Paris, L’Harmattan, 2014.

[34] « À l’origine, l’OIT était préoccupée par la situation des peuples indigènes et tribaux, particulièrement dans leur rôle de travailleurs. Dès 1921, l’OIT commença à traiter le problème des ‘‘travailleurs natifs’’ dans les colonies d’outre-mer des puissances européennes. Il s’est avéré rapidement que les peuples indigènes étaient exposés à une grave exploitation en matière de travail et qu’ils avaient besoin d’une protection spécifique en cas d’expulsion de leurs terres ancestrales pour devenir des travailleurs saisonniers, migrants, à domicile, ou travaillant en servitude pour dette. L’un des résultats de cette constatation a été l’adoption en 1930 de la Convention sur le travail forcé de l’OIT (n° 29) », http://www.ilo.org/indigenous/About... [consulté le 9 février 2015]. Lire aussi G. Rodgers, L. Swepston, E. Lee et J. van Daele, L’Organisation internationale du travail et la quête de justice sociale, 1919-2009, Genève, OIT, 2009 ; L. Rodríguez-Piñero, Indigenous peoples, post-colonialism and international law. The ILO regime (1919-89), Oxford, Oxford University Press, 2009.

[35] Au cours de la période 1930-1955, l’OIT adopta la Convention 29 (1930) sur le travail forcé, la Convention 50 (1936) sur la réglementation des systèmes de recrutement des travailleurs, la Convention 65 (1939) sur les sanctions pénales contre les travailleurs autochtones pour le non-accomplissement du contrat de travail, la Convention 86 (1947) sur la durée maximale des contrats de travail des travailleurs autochtones et la Convention 104 (1955) sur l’abolition des sanctions pénales pour l’inaccomplissement du travail par les travailleurs autochtones.

[36] J. D. Oliva Martínez, Pueblos indígenas a la conquista de sus derechos, Madrid, Boletin Oficial del Estado, 2012, p. 646.

[37] Disponible sur le site de l’OIT, consulté le 5 janvier 2018, http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/@ed_normhttp://www. ilo.org/wcmsp5/groups/p.../@normes/documents/publication/wcms_116077.pdf.

[38] « La présente convention s’applique aux peuples tribaux dans les pays indépendants… ».

[39] Argentine, Bolivie, Brésil, République Centrafricaine, Chili, Colombie, Costa Rica, Danemark, Dominique, Équateur, Espagne, Fidji, Guatemala, Honduras, Mexique, Népal, Nicaragua, Norvège, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Venezuela : soit quinze pays sud et centre américains, quatre pays européens, un pays africain, un pays asiatique, et un pays océanien ; aucun pays du bloc CANZUS, ni la France ou le Royaume Uni.

[40] Notes de terrain de l’auteure.

[41] L.-E. Chávez, « La Déclaration sur les droits des peuples autochtones rompt l’impasse : 
le point du milieu »,
 dans La Déclaration des droits des peuples autochtones, op. cit., p. 98-107.

[42] N. Crawhall, « L’Afrique et les droits des peuples autochtones : un bilan des réactions à la Déclaration des Nations unies », dans dans Peuples autochtones du monde, op. cit., p. 181-204.

[43] C. Charters, « La légitimité de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones », dans La Déclaration des droits des peuples autochtones, op. cit., p. 283-306.

[44] « Une autre question très sensible depuis le début des négociations fut celle du champ d’application de la Déclaration, c’est-à-dire celle d’une définition de qui est autochtone. Ainsi, l’article 8 du texte de la Sous-Commission envisageait l’auto-identification comme critère pour déterminer qui est autochtone et qui ne l’est pas. Mais plusieurs États s’y opposèrent. Curieusement, le débat passionné des débuts s’est peu à peu dilué, au point que dans les sessions finales plus personne ne posait cette question, envoyant alors un message clair : les tentatives de trouver une définition succombaient à la complexité du sujet, et les précédents indiquaient qu’une Déclaration de cette nature était possible sans définition. La solution naturelle fut d’éliminer la question du projet » (H. Chávez, « La Déclaration sur les droits des peuples autochtones rompt l’impasse », art. cit., p. 105).

[45] Article 33 : 1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones d’obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l’État dans lequel ils vivent ; 2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures.

[46] Rappelons que ces négociations eurent lieu avant que l’Équateur et la Bolivie n’entament une transition constitutionnelle vers un État plurinational.

[47] « With the exception of the right to self-determination (which forms article one of the two international covenants on human rights), we [the UK] do not accept the concept of collective rights. […] Of course certain rights belonging to individuals can often be exercised collectively through, for example, freedom of association, freedom of religion or through a collective title to property. » United Kingdom (Foreign and Commonwealth Office) », dans Human Rights : Annual Report 2004, United Kingdom, https ://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachements_data/file/408411/human-rights-reports-2004.pdf [consulté le 1er décembre 2018], 2004, p. 212.

[48] Argentine 1994, Bolivie 1994, 2009 ; Brésil 1988, Colombie 1991, Équateur 1996, 1998, 2008, Mexique 1992, 2001 ; Paraguay 1992, Pérou 1993, Vénézuela 1999.

[49] Voir notamment S. J. Anaya, Indigenous Peoples in International Law, New York-Oxford, University Press, 2000 ; Reflections on the UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, éd. S. Allen et A. Xanthaki, Oxford, Hart Publishing, 2011.

[50] Les territoires concernés par les travaux de ce Comité et concernant des peuples autochtones actifs sur la scène onusienne des droits des peuples autochtones sont notamment le Sahara occidental, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. D’autres territoires, dix-sept en tout, comprennent des populations susceptibles de s’identifier comme peuples autochtones, tels Tukelau (Nouvelle-Zélande), Guam ou American Samoa. Lorsque le territoire est inscrit sur la liste à décoloniser, les délégations autochtones sont peu présentes dans les espaces dédiés aux questions autochtones au sein de l’ONU.

[51] Notes de terrain de l’auteure à l’Instance permanente sur les questions autochtones.

[52] Notes de terrain de l’auteure.

[53] F. Morin, « Revendications et stratégies politiques des organisations indigènes amazoniennes », Cahiers des Amériques latines, 13, 1992, p. 75-85.

[54] http://www.worldbank.org/en/topic/indigenouspeoples

[55] Sur la portée du « nous » et la conception de l’humanité, voir à propos des Candoshi et des Shiwilu, deux groupes amazoniens au Pérou, les analyses de Alexandre Surrallés : « As they lack a notion of universal humankind, the Candoshi represent the human condition through their own particular experience of humanity » (A. Surrallés, « Human Rights for non-humans », HAU : Journal of Ethnographic Theory, 7/3, 2017, p. 1-17 (citation p. 7).

[56] F. Barth, Ethnic groups and boundaries. The social organization of culture difference, Oslo, Universitetsforlaget, 1969 ; D. Juteau, L’ethnicité et ses frontières, Montréal, Presses de l’université, 1999 ; Ph. Poutignat et J. Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité, Paris, Presses universitaires de France, 1995.

[57] I. Bellier, « ‘‘We Indigenous Peoples…’’ Global Activism and the Emergence of a New Collective Subject at the United Nations », dans The Gloss of Harmony. The Politics of Policy Making in Multilateral Organizations, éd. B. Müller, Londres, PlutoPress, 2013, p. 177-201 ; I. Bellier et V. González-González, « Peuples autochtones. La fabrique onusienne d’une identité symbolique », Mots. Les langages du politique, 108, 2015, p. 131-150.

[58] S. Macedo, « Pourquoi nous appelez-vous Indiens ? La catégorie d’Indien 
et son appropriation par les populations autochtones au Brésil », dans Peuples autochtones du monde, op. cit., p. 75-92.

[59] Être indien dans les Amériques, dir. C. Gros et M.-C. Strigler, Paris, Institut des Amériques, 2006.

[60] L. Cloud, V. González et L. Lacroix, « Catégories, nominations et droits liés à l’autochtonie en Amérique latine Variations historiques et enjeux actuels », dans Peuples autochtones du monde, op. cit., p. 41-74 (citation p. 42).

[61] B. Barraud, « L’anthropologie du droit », dans B. Barraud, La recherche juridique (les branches de la recherche juridique), Paris, L’Harmattan, 2016.

[62] Voir la critique de L. Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies. Research and Indigenous Peoples, London-New York-Dunedin, Zed Books Ltd, University of Otago Press, 1999.

[63] DIALOG participe à un renouvellement des questionnements de recherche relatifs aux peuples autochtones en misant sur la transculturalité et la transdisciplinarité, en favorisant l’adoption de pratiques de recherche contextualisée et interactive et en faisant de la co-construction des connaissances avec les Autochtones son principal objectif : http://www.reseaudialog.qc.ca/fr/reseau-dialog/presentation/

[64] R. Price, Peuple Saramaka contre État du Suriname. Combat pour la forêt et les droits de l’homme, Paris, Karhala, 2012.

[65] G. Lenclud, « La tradition n’est plus ce qu’elle était… Sur la notion de ‘‘tradition’’ et de ‘‘société traditionnelle’’ en ethnologie », Terrain, 9, 1987, p. 110-123.

[66] Voir à ce sujet, les analyses de Jean Leclair sur la manière dont les tribunaux canadiens essentialisent l’identité (J. Leclair, « Institutions autochtones et traditions juridiques nationales.
Articulations et contradictions : le cas canadien », dans Peuples autochtones du monde, op. cit., p. 247-264) et les réflexions de Brian Wyatt, Chief executive officer du Native Title Council en Australie sur « la charge de la preuve » (B. Wyatt, « Protéger les droits, la culture et la tradition au sein d’une économie en croissance, dans Terres, Territoires, Ressources, op. cit., p. 323-335).

[67] M. Abélès, « Pour une anthropologie des institutions », L’Homme, 135, 1995, p. 65-85.

[68] P. Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.

[69] I. Bellier, L. Cloud et L. Lacroix, Les droits des peuples autochtones, op. cit., p. 243-279.

[70] A/67/994, annexe, disponible sur le site consulté le 10 janvier 2018, https://documents-dds-ny.un.org/doc... ? OpenElement

[71] « Nous réaffirmons notre appui à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale le 13 septembre 2007 et les engagements que nous avons pris à cet égard, de nous concerter et de coopérer de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés – par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives – avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, conformément aux principes applicables énoncés dans ladite Déclaration ».

[72] I. Bellier, « ‘‘Participation of Indigenous Peoples in Issues Affecting Them’’ : An International Negotiations Issue », dans Scales of Governance and Indigenous Peoples : New Rights or Same Old Wrongs ?, dir. I. Bellier and J. Hays, Oxford, Routledge, à paraître.

[73] Les sept régions socio-culturelles autochtones admises aux Nations unies pour organiser la représentation de la diversité des peuples sont : Afrique, Arctique, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Centre et Caraïbes, Asie, Europe et autres États (développés), Europe orientale-Transcaucasie-Asie centrale-Fédération de Russie. Sur l’institutionnalisation des peuples autochtones, voir I. Bellier, « Les peuples autochtones aux Nations Unies : la construction d’un sujet de droits / acteur collectif et la fabrique de normes internationales », Critique internationale, 54, 2012, p. 61-80.

[74] I. Bellier, C. Cloud, L. Lacroix, Les droits des peuples autochtones, op. cit., p. 245.

[75] Ce domaine de recherches s’est ouvert en France au début des années 1990, voir par ex. la revue L’Homme, 121, 32/1, 1992.

[76] J. Leclair, « Institutions autochtones et traditions juridiques nationales », art. cit, p. 257, ajoute en note de l’extrait cité : « Dans l’espoir de limiter la dimension essentialisante du test proposé, la Cour a tenu à dissiper l’idée que la pratique antérieure au contact sur laquelle repose le droit revendiqué doit être au cœur de l’identité de la société, c’est-à-dire constituer le trait distinctif le plus déterminant. La preuve de l’existence d’un droit ancestral n’a jamais été soumise à ce critère. Notre Cour a clairement décidé que le demandeur doit uniquement établir que la pratique faisait partie intégrante de la culture distinctive de la société autochtone concernée avant son contact avec les Européens ». Cette modulation du test vient adoucir quelque peu la folklorisation de l’identité autochtone qu’il engendre.

[77] Opus cité, 2017, p. 20, ma traduction.

[78] R. Parizet, Les paradoxes du développement. Sociologie politique des dispositifs de normalisation des populations indiennes au Mexique, Paris, Dalloz, 2015.

[79] É. Le Roy, « La terre africaine entre deux modernités. La petite exploitation familiale face à l’appropriation des terres à grande échelle », dans La Terre et l’Homme. Espaces et ressources convoités, entre le local et le global, éd. É. Le Roy, Paris, Karthala, 2013, p. 207-247.

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