1. Le 7 mai 1936, l’Éthiopie est annexée par l’Italie et deux jours plus tard, du haut du balcon de Piazza Venezia à Rome, Mussolini proclame la fondation de l’Empire d’Italie. Arrivée tard dans la course aux colonies, l’Italie n’avait jusqu’alors pu se tailler un véritable empire colonial en Afrique, comparable à ceux de la France ou de la Grande-Bretagne. Jusqu’en 1936, ses uniques possessions sont la Libye, la Somalie et l’Érythrée ainsi que quelques îles de la mer Égée, les îles du Dodécanèse. La nouvelle possession de l’Éthiopie donne donc une certaine cohérence, une continuité, si ce n’est à l’ensemble des possessions italiennes, du moins à celle de la Corne de l’Afrique. Ces possessions forment désormais l’Afrique Orientale Italienne (Africa Orientale Italiana). À la suite d’une seconde guerre d’Éthiopie menée sous forme de revanche, « l’Impero d’Italia » avec à sa tête le roi Vittorio Emmanuelle II est proclamé et se veut le symbole de la puissance retrouvée de l’Italie grâce au fascisme. De « nation prolétaire » l’Italie est maintenant devenue un Empire à égalité avec la France et l’Angleterre [1].
2. Il fallait alors pour les juristes de l’époque donner un droit à la hauteur de l’Empire et surtout sortir le droit colonial des matières mineures, en faire une véritable matière universitaire à part entière. Depuis le début des années 1930, certains juristes italiens réclamaient l’existence d’une autonomie scientifique pour le droit colonial italien [2]. En 1937, au IIIe Congrès d’Études coloniales qui se tint à Pise, le Professeur Bertola [3] de l’université de Turin relève toujours que « il y a encore beaucoup à faire avant que ces études [les études de droit colonial italien] aient la considération nécessaire, dans le cadre général de la vie intellectuelle de la nation : des milieux scolastiques et académiques, à la presse scientifique, jusqu’aux pratiques jurisprudentielles journalières, dans tous les secteurs dans lesquelles s’exprime la féconde activité de la science juridique italienne, le droit colonial n’a pas encore la place qui lui revient, et souvent, malheureusement, n’a aucune place » [4].
3. Dans cette communication, « Les études juridiques coloniales et leur importance dans le présent », Bertola interroge l’ensemble de ses collègues sur les raisons de la faiblesse du droit colonial, à une époque où « toutes les énergies de la nation sont tendues dans l’effort de la valorisation de l’Empire, fondé par le génie du Duce et par la valeur de nos armées » [5]. Pour lui il est important de faire non pas « un inventaire, plus ou moins ingénieusement réparti, d’auteurs et de titres […] mais il serait plutôt nécessaire – pour rendre possible la formulation d’un programme concret pour l’avenir – de considérer sincèrement et courageusement l’état actuel et les possibilités futures de ces études, ainsi que les conditions dans lesquelles celles-ci pourraient avoir une implantation et un développement véritablement adaptés aux nécessités de l’Italie impériale » [6].
4. Les raisons que donnent Bertola pour expliquer la faiblesse du droit colonial sont de deux ordres. S’il existe certaines raisons d’ordre externe (le droit colonial n’est pas pris au sérieux par le monde juridique, la connaissance du droit colonial demeure facultative dans les formations universitaires, etc.) celles-ci sont surtout les conséquences de raisons internes. Le droit colonial en tant que matière a de nombreuses faiblesses. Les études de droit colonial ne sont pas au même « niveau de dignité et de sérieux scientifiques que toutes les autres disciplines juridiques », une partie de la littérature dans ce domaine a « un caractère improvisé ou dilettante » et de manière générale, il existe [de la part des acteurs du droit colonial], un manque « de préparation juridique générale ou de préparation spécifiquement coloniale ». Bertola déplore donc l’absence d’une réelle science juridique coloniale et de spécialistes, de juristes colonialistes. Cette critique se ressent dans l’origine des auteurs ; très peu d’entre eux sont des spécialistes du droit colonial.
5. C’est pour cela que Bertola recommande aux « techniciens préparés de manière générique aux investigations et aux constructions juridiques […] d’acquérir en premier une préparation colonialiste adaptée » [7]. Pour cela un effort est demandé à l’ensemble du monde du droit colonial : œuvrer dans le sens de la « professionnalisation » de la matière. Bertola indique quelques pistes de travail. « Une révision rigoureuse et une sélection prudente des nombreux travaux dont les titres remplissent les bibliographies juridiques coloniales », « que le juriste colonial soit un investigateur de problèmes positifs et avant tout un fidèle observateur de la réalité », « donner une plus grande importance, spécialement de la part des jeunes, à la littérature monographique sur des thèmes circonscrits, au lieu de mener des tentatives sur des thèmes trop larges, à propos desquels, font surtout défaut des informations suffisantes et de réelles expériences coloniales ». Dans cette optique, il est notamment nécessaire qu’existe « une diffusion plus adaptée des moyens d’informations législatifs et jurisprudentiels », ce à quoi pourra finalement pourvoir cette revue. Enfin Bertola conclut sa communication sur la nécessité d’utiliser les institutions juridiques islamiques. C’est un des aspects de la formation des juristes coloniaux qu’il est nécessaire selon lui d’approfondir [8].
6. Ce texte qui tente d’établir un bilan et surtout de poser des perspectives pour le droit colonial italien est repris en ouverture du premier numéro de la revue publié en 1938. Il s’agit certainement pour son fondateur d’inscrire la revue dans cette même démarche de professionnalisation, de spécialisation, et même de construction du droit colonial italien qu’a évoquée Bertola à Pise en 1937.
7. La fondation de la Rivista di diritto coloniale vient d’ailleurs combler un vide dans le paysage juridique comme dans le paysage des sciences ou des connaissances coloniales italiennes. Jusqu’à présent les articles de droit colonial se trouvaient publiés de manière éparse dans les revues spécialisées d’autres matières juridiques (Revues de droit pénal, revues de droit agraire, de droit international, etc.) ou dans des revues coloniales qui n’étaient pas exclusivement juridiques (Rivista delle colonie italiane, Rivista coloniale, L’Oltremare).
8. En fondant la Rivista di diritto coloniale, il s’agit donc de fonder une revue spécifique au droit colonial italien. Il faut toutefois noter qu’une revue remplit déjà plus ou moins ce rôle à l’époque, il s’agit de la Rivista giuridica del Medio ed estremo oriente e giustizia coloniale : rivista critica di dottrina, giurisprudenza e legislazione publiée de 1932 à 1933, puis de 1936 à 1940 [9]. La différence, de taille, entre les deux revues se situe dans le but explicite de définition et de « systématisation » du droit colonial qui a été fixé à la Rivista di diritto coloniale.
9. Le sous-secrétaire d’État pour l’Afrique Italienne, Attilio Teruzzi, salue d’ailleurs la naissance de la revue dans un article inaugural comme un pas en avant vers le développement du droit colonial italien :
La Rivista di diritto coloniale qui commence aujourd’hui ses publications, sous la direction et grâce à l’heureuse initiative d’un jeune et talentueux colonialiste – le professeur Saverio Ilardi – veut être du groupe désormais non plus restreint, des “cultivateurs” du nouveau droit, le gymnase et l’arène dans lesquels s’éprouveront les orientations et les résultats des nouveaux courants doctrinaux [10].
10. Sans que la qualification de revue officielle du régime ne soit affirmée comme ce fut le cas pour d’autres revues [11], ce salut de la part du sous-secrétaire d’État pourrait indiquer tout de même un appui du régime fasciste à la création de cette revue. D’ailleurs, la maison ayant en charge l’édition de la revue, la Casa Editrice L. Cappelli, de Bologne peut aussi donner des indices sur le caractère « officiel » de la revue. Cette maison est en effet celle qui depuis 1927 édite les très officielles Rivista delle colonie italiane (1927-1934), L’Oltremare (1935-1936) puis la Rivista delle Colonie (1936-1943). L’absence de traces de cette revue à l’Archivio centrale dello Stato et notamment dans le Secrétariat personnel du Duce permettent toutefois d’émettre un doute. Dans tous les cas, en raison de la censure et de la tutelle à laquelle avaient été soumises de manière plus ou moins consenties les publications sous le fascisme tout au long des années 30 [12], et plus encore sur un sujet aussi sensible et important que la politique impériale italienne, il ne peut y avoir de doute sur le fait que la ligne éditoriale suivie par la Rivista di diritto coloniale ne contredisait pas la volonté gouvernementale.
11. Le comité scientifique de la revue comporte enfin un certain nombre de sommités du régime même si ceux-ci demeurent bien souvent des membres « d’apparat », qui n’écrivirent aucun article (Premier président de la Cour de Cassation, président du Conseil d’État, Président de la Cour d’appel de Libye, Président de la Cour d’appel d’A.O.I., etc.).
12. Bien qu’elle ne soit pas l’unique revue juridique coloniale sur le « marché » à cette époque, la Rivista di diritto coloniale semble donc réellement être fondée dans le but de devenir LA revue de droit colonial italien et de l’ensemble de la revue se dégage d’ailleurs ce but, donner une réelle cohérence et une existence à part entière au droit colonial italien.
13. La direction de la revue resta tout au long de son existence entre les mains de Saverio Ilardi qui durant les cinq années de publication en fut le moteur. En 1942, la publication de la revue cessa sans que ne soit donnée de justification. Cette fin est très certainement liée au cours de la guerre et du fascisme en 1943 et non à des raisons propres à la revue ou à ses auteurs [13].
14. Au total 11 numéros auront été publiés pour un total de 52 articles. Ceux-ci étaient divisés au sein de la revue en deux rubriques « Dottrina » et « Diritto Indigeno ». De plus, deux sections « Giurisprudenza » et « Legislazione » complétaient chaque numéro.
15. N’ayant pu avoir accès aux archives internes de la revue (communications, secrétariat, etc.) il est difficile de connaître quels objectifs lui ont été véritablement fixés lors de sa naissance, les problèmes auxquels elle fut confrontée, son fonctionnement ou encore les choix qui ont nécessairement été faits dans la commande et la sélection des articles… C’est donc à travers l’étude des articles contenus dans la revue d’une part puis de leurs auteurs que nous tenterons d’analyser quels furent les moyens que la Rivista di diritto coloniale mit en place afin de donner une autonomie scientifique au droit colonial italien.
I. Comment fonder le droit colonial italien ?
A. La qualification du droit colonial en débat
16. La revue accueillit dans ses colonnes la discussion qui avait alors cours entre les spécialistes de droit colonial sur la définition du droit colonial. Jusqu’alors le droit colonial était largement considéré par la doctrine, comme un droit spécial [14]. C’est la qualification qu’en avait donné Santi Romano dans son Corso di diritto coloniale publié en 1918. Le droit colonial était alors un droit spécial et « hétérogène », dont d’ailleurs les normes sont de natures diverses [15]. La colonie était une « institution » au sens où l’entend Santi Romano, c’est-à-dire qu’elle constitue un ordre juridique [16] et le rapport entre l’ordre juridique commun, celui de la métropole, et l’ordre colonial serait donc un rapport de spécialité.
17. Afin de mener à bien l’entreprise d’autonomisation du droit colonial à laquelle participent tous les spécialistes de la matière à partir des années 30 et plus particulièrement, à la suite de la déclaration de l’Empire, il était nécessaire de systématiser le droit colonial. Or cette systématisation ne pouvait se passer et même ne pouvait être atteinte qu’à travers une définition de ce qu’est le droit colonial. Cette définition était en effet un préalable indispensable afin d’isoler et de déterminer les principes généraux du droit colonial. Cette définition était la clef de voûte pour faire du droit colonial une matière juridique à part entière et dans le même temps légitimer la Rivista di diritto coloniale en tant que revue centrale du droit colonial.
18. Dès le premier numéro, Ilardi s’attache à donner une définition du droit colonial. Ce fut le début d’une controverse doctrinale qui se déroula tout le long de la vie de la revue entre le Professeur Saverio Ilardi, directeur de la revue et libero docente [17] de l’Università di Roma et le Docteur Angelo Macchia, conseiller de gouvernement. Cette controverse porta sur la définition et la qualification du droit colonial.
19. Une fois les tâches incombant aux juristes coloniaux et par conséquent à la jeune Rivista di diritto coloniale définies par l’article de Bertola, cité ci-dessus, Ilardi revient sur les différentes définitions du droit colonial ayant cours et leurs limites avant de proposer sa propre définition [18]. Selon lui les définitions alors données par Ernesto Cuccinota, Roberto Sertoli Salis, Umberto Borsi ou Santi Romano [19] sont inappropriées, respectivement en raison de leur imprécision, de leur limitation du droit colonial au droit public ou encore car elles ne sont que de « pures tautologies » lorsque le droit colonial est défini par Santi Romano comme un « groupe de sciences qui ont rapport avec le phénomène colonial et celui des sciences juridiques ». Ilardi va tenter de donner une définition du droit colonial permettant de justifier le détachement de cette matière de l’ensemble des sciences juridiques. Pour Ilardi, le droit colonial est donc :
le complexe de normes que la métropole édicte ou accueille dans son propre ordre juridique, pour réguler chaque aspect de l’activité publique et privée, qui se déroule sur le territoire colonial, ou bien sur le territoire métropolitain, à condition que cette activité soit en relation avec le territoire colonial [20].
20. Il donne donc une définition pouvant « embrasser l’ensemble du très vaste champ des faits et des rapports juridiques réglés par le droit colonial » et tenant compte des deux caractères nécessaires selon lui à l’existence d’une colonie : « Le concept que le pouvoir souverain réside uniquement dans la métropole (de là dérive la dépendance et la sujétion politique de la colonie à la métropole) » d’une part et « L’ordre juridique qui la gouverne a un caractère singulier sans que pour autant, celui-ci provienne de sources souveraines autochtones » [21] d’autre part.
21. Selon Ilardi il y a donc un double critère définissant le droit colonial. Un critère de destination territoriale, qui fait que le droit ayant cours en territoire colonial est du droit colonial, mais aussi un critère de pertinence des faits ou des rapports régis par le droit colonial. Lorsque, en dehors du territoire colonial, ces rapports ou faits ont trait à la colonisation, aux colonies et à leur organisation, les normes qui les régissent font parties du droit colonial. C’est ainsi qu’il prend l’exemple des diverses normes organisant l’administration coloniale, en territoire colonial mais aussi en métropole, telles celles qui fixent l’organisation du ministère de l’Afrique Italienne, ou le statut des fonctionnaires coloniaux… ou encore les lois qui étendent l’application des codes aux colonies (seules celles-ci appartiennent au droit colonial et non les codes eux-mêmes [22]). Ces normes ont trait à la « politique coloniale » au sens le plus large. Le fait que la revue traite par la suite de manière importante des questions d’organisation judiciaire, administrative, ou « corporative » des colonies, en territoire colonial mais aussi en métropole est une conséquence de cette conception « large » du droit colonial. Ilardi tend donc à faire de la base du droit colonial, l’ensemble des rapports juridiques qui auraient pour motivation ou objet la colonisation.
22. Il va s’opposer à la qualification que la doctrine fait traditionnellement du droit colonial comme étant un droit spécial. Cette qualification est très insatisfaisante, voir fausse selon Ilardi, car elle empêcherait d’ériger le droit colonial en un droit « autonome » au sein duquel se retrouvent les diverses branches que l’on retrouve dans l’ordre juridique métropolitain mais ici transposées dans le domaine, et pas uniquement sur le territoire, colonial. La qualification du droit colonial comme un droit spécial amènerait selon lui à considérer le droit colonial comme un droit régulant « une catégorie spéciale de rapports » :
chaque partie du droit qui discipline une catégorie spéciale de rapports, comme le droit financier ou ecclésiastique, est un droit spécial, car il ne régule qu’une seule partie et non l’ensemble des rapports sociaux, par rapport au système général du droit, qui inversement, les régule dans leur ensemble [23].
23. Le droit colonial ne régule pourtant pas une catégorie spéciale de rapports mais l’ensemble des rapports ayant trait au domaine colonial, c’est pour cela qu’il est qualifié par Ilardi de droit singulier ou anomal [24]. Il justifie cette dénomination par le fait qu’elle exprime « le rapport d’exception à la règle dans lequel se trouve une norme ou un complexe de normes de caractère général, qui comprennent tous les autres rapports de cette même catégorie » [25].
24. À la fin de son article Ilardi revient sur le fait qu’affirmer le caractère singulier du droit colonial contribue à en rechercher la possible autonomie scientifique malgré la fragmentation des normes et les rapports particuliers qu’entretiennent droit colonial et droit métropolitain. Encore une fois l’affirmation de l’autonomie scientifique du droit colonial est un des buts principaux de la revue.
25. En 1941, Ilardi publie dans le numéro 1-2 de la Rivista di diritto coloniale une critique [26] répondant à un article d’Angelo Macchia publié en octobre 1940 dans une autre revue, la Rivista delle colonie et intitulé « L’ordre juridique colonial et ses rapports avec l’ordre métropolitain dans le droit positif italien » [27].
26. Macchia refuse dans cet article la qualification donnée par Ilardi de droit singulier car selon la théorie générale du droit, les droits singuliers ne sont susceptibles ni d’interprétation extensive ni d’interprétation analogique. Or ces deux types d’interprétations existent en droit colonial. C’est cette caractéristique qui avait amené Santi Romano dans son Corso di diritto coloniale à qualifier le droit colonial de droit spécial. Macchia qualifie donc le droit colonial de droit territorial en en faisant un ordre juridique (ordinamento) parallèle et à égalité avec le droit métropolitain, un droit « produit, distinct, séparé, à part, du pouvoir législatif de l’État, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un ordre juridique territorial » [28].
27. Face à cette critique Ilardi se défend en accordant que l’interprétation extensive peut être utilisée car celle-ci consiste en la recherche de la volonté du législateur, et évidemment la loi d’exception est marquée par une certaine volonté du législateur qui peut donc être recherchée. En ce qui concerne l’interprétation analogique, s’il admet qu’en effet les normes singulières ou exceptionnelles ne peuvent en être l’objet, il affirme néanmoins qu’il est possible d’y recourir lorsque l’on parle de droit colonial. Il passe pour cela par l’hypothèse que le droit colonial constituerait un « système organique » composé de nombreuses normes d’exception cohérentes entre elles. Ainsi en son sein il serait possible d’user de l’interprétation analogique, et le devoir de la doctrine semble d’ailleurs consister à ce titre à rechercher des « principes généraux » propres au droit colonial. Cette affirmation du droit colonial en tant que système organique est d’ailleurs un des aspects qui prouve la nécessaire autonomisation du droit colonial : « Pour que puisse être reconnue l’autonomie à une science juridique, il faut en effet trouver l’existence d’un complexe de normes, dominées par des principes généraux, différents de ceux du droit commun, et lesquels disciplinent de manière organique une matière déterminée [en l’occurrence les rapports au sein du monde colonial] » [29]. L’unité du droit colonial n’est pas à rechercher selon Ilardi dans le territoire, ce qui viendrait à admettre la pluralité des ordres juridiques qu’il conteste. Elle est à chercher du côté de la nécessité de réguler une société et une économie encore primitive. Et si le droit colonial ne constitue pas un ordre juridique distinct mais bien un droit singulier, c’est que ses lacunes, nombreuses, sont « colmatées » par le droit métropolitain.
28. Ilardi réaffirme qu’inversement à ce qu’avance Macchia, l’ordre juridique est unique, il s’agit de l’ordre juridique étatique. L’unicité de l’ordre juridique étatique provenant du fait qu’il n’existe qu’une seule source du droit appliqué dans l’Empire italien, en métropole comme aux colonies, « la volonté régulatrice suprême […] de l’État » [30].
29. Par ailleurs dans l’argumentaire qu’Ilardi oppose au caractère territorial du droit colonial, il y a toujours l’idée que cette qualification impose des limites spatiales à son efficacité alors que le droit colonial peut aussi produire ses effets en dehors du territoire colonial.
30. Cette controverse n’était pas terminée lorsque s’éteignit la Rivista di diritto coloniale en 1942. Cette année, Macchia fit paraître un article, cette fois directement dans la Rivista di diritto coloniale, sur la définition du droit colonial [31]. Dans cet article, il réaffirme son opposition à la qualification du droit colonial de droit singulier, notamment en refusant de nouveau à un tel droit la possibilité d’interprétation analogique. Macchia réaffirme donc sa conception d’un ordre juridique colonial indépendant de celui métropolitain et même la nécessité qu’il en soit ainsi :
La construction du concept de droit colonial doit être me semble-t-il en mesure de mettre efficacement en lumière l’indépendance de ce droit vis-à-vis du droit métropolitain : sa complétude (c’est-à-dire la possibilité de résoudre les lacunes par l’analogie déductible de ses propres principes généraux), sa territorialité (c’est-à-dire sa sphère d’application déterminée par l’espace et non par la matière, par laquelle s’identifie immédiatement la différence avec les droits spéciaux) et son unité (c’est-à-dire sa structure organique fonctionnelle : l’ordonnancement en système de toutes les normes qui le composent, même si elles ont formellement des origines assez disparates) [32].
Pour reprendre l’explication de Macchia à travers la théorie des ordres juridiques de Santi Romano, l’ordre juridique étatique serait donc une institution d’institutions, dans lequel coexistent deux ordres parallèles, l’ordre métropolitain et l’ordre colonial.
31. Au-delà de leurs divergences sur la qualification, ces différents auteurs travaillaient de concert à la systématisation du droit colonial afin de lui donner une véritable existence scientifique autonome. Ces débats peuvent sembler en apparence purement théorique et n’ont d’ailleurs pas permis d’aboutir à la systématisation du droit colonial. Ils avaient néanmoins une importance de taille, car cette abstraction et ce détour théorique, avaient pour but, comme nous l’avons vu avec la controverse sur les possibilités d’interprétation extensive et analogique du droit colonial, de comprendre et fixer les vrais rapports du droit colonial et du droit métropolitain [33].
32. Pas une seule qualification et systématisation du droit colonial n’avait été trouvée par les juristes italiens lors de la perte de l’Empire. L’historien du droit colonial italien Luciano Martone avance, à juste titre, que la doctrine italienne des années trente a toujours occulté la permanence d’un principe général discriminatoire sur une base raciale. Le droit colonial était fondé en fait sur l’existence « d’une vie distincte [de celle de la métropole] basée sur la différence personnelle entre citoyens et sujets, rendue plus évidente et profonde par l’absence des garanties constitutionnelles qui caractérisaient l’État de droit » [34]. Même si cette distinction a été perçue évidemment par les juristes et plus encore au début du XXe siècle où elle recouvrait en particulier la distinction « civilisé/non civilisé » [35], elle n’a jamais été considérée par les auteurs qui nous intéressent ici comme un principe du droit colonial qui en faisait avant tout un droit basé sur les différences personnelles [36] et de plus en plus sur les différences raciales.
33. La discussion sur la qualification du droit colonial a aussi été abordée par un autre biais par le romaniste Pietro De Francisci, dans son article « Les conflits de lois dans les colonies italiennes » [37]. Ce professeur soutient l’idée que dans le domaine du droit privé, aux colonies, il existe des conflits de lois, de différents types :
I) Conflit entre lois métropolitaines et droit indigène ; II) Conflit entre lois indigènes d’une même colonie ; III) Conflit intercolonial, c’est-à-dire entre lois en vigueur dans des colonies différentes soumises au même État ; IV) Conflit entre lois en vigueur dans une colonie et des lois étrangères [38].
Il y aurait donc une particularité du « conflit colonial » qui ne correspondrait pas à un simple conflit de lois mais à un conflit entre différents ordres juridiques.
34. Cette conception l’amène donc à soutenir l’existence d’un ordre juridique colonial spécial, composé de différents ordres juridiques, « nous suivons la doctrine traditionnelle qui se bat pour la spécialité de l’ordre juridique colonial, spécialité qui n’est pas anomalie ou exception, mais bien adaptation des normes et institutions juridiques aux conditions locales auxquelles elles se réfèrent » [39]. Il rejoint donc l’opinion de Macchia. Le flou porte donc sur les personnes destinataires ou non des normes de droit colonial. C’est pourquoi l’auteur conclut d’ailleurs en réclamant une clarification de la part du législateur.
Il serait nécessaire que le législateur fasse avec une plus grande clarté le lien entre les personnes destinataires des normes juridiques et les différents systèmes juridiques en vigueur dans les colonies, ce lien doit résulter d’éléments personnels parmi lesquels la race, l’origine, la religion, etc., et d’éléments qui ont cependant une référence territoriale comme la citoyenneté, la sujétion, le domicile, etc. [40].
On se rapproche donc de l’idée que le droit colonial était avant tout personnel.
35. Un autre éclairage est apporté par le spécialiste du droit colonial et conseiller à la Cour de cassation, Ernesto Cucinotta dans un article intitulé « Les conditions locales dans le droit colonial ». Cucinotta revient sur les adaptations qui doivent nécessairement être apportées au droit métropolitain afin de l’appliquer dans les colonies et ce notamment en raison des « conditions locales ».
36. Afin d’étayer son argument, Cucinotta revient sur différentes situations coloniales passées, les colonies françaises du Québec ou antillaises au XVIIe ou les débuts de la colonisation italienne en Libye à la fin du XIXe siècle. Ce sont des lois générales de la formation du droit colonial que tente de dégager l’auteur.
37. Pour ce dernier, il paraît « impossible d’étendre sans modification et d’appliquer tel quel, à des pays sans aucune organisation et encore souvent primitif, une législation complexe comme celle de la métropole » [41]. Ces modifications sont en général le fait des tribunaux installés dans les colonies qui « reçurent ou s’arrogèrent le pouvoir d’apporter aux lois métropolitaines […] les modifications demandées par les circonstances » [42].
38. C’est donc en s’appuyant sur la jurisprudence coloniale [43] que Cucinotta tente de définir les adaptations nécessaires du droit métropolitain dans le contexte colonial contemporain. L’éclairage qu’apporte Cucinnota tendrait donc à qualifier le droit colonial de « spécial » et construit notamment par le juge. Il s’appuie d’ailleurs sur un décret royal du 15 avril 1917 qui dispose que « dans l’adaptation des lois aux conditions locales, le juge doit, avec ses décisions, fixer la norme qui règle les rapports controversés, en apportant aux lois les modifications que, s’il eut été législateur, il aurait adopté pour régler lesdits rapports de droit » [44].
39. C’est aussi en se basant sur la jurisprudence qu’est abordée la question de la place du « droit indigène » dans la revue. Si aucun article ne revient de manière générale sur la place du droit indigène dans le droit colonial italien ni sur son articulation avec le droit d’origine métropolitaine, certains aspects de celui-ci sont explorés par les auteurs notamment à travers le commentaire de quelques arrêts.
40. Seul un article de Bertola, « Coutume et droit musulman dans la jurisprudence coloniale » se focalise réellement sur cette question centrale du droit colonial. Au-delà de la réflexion essentielle et passionnante sur la place de la coutume en droit musulman, l’auteur revient sur le fait que le droit musulman reste assez méconnu des juristes européens en particulier des juges à qui pourtant « sont aujourd’hui confiées des fonctions judiciaires dans des matières concernant la loi islamique sacrée même et devant des musulmans » [45].
41. Bertola insiste sur l’importance d’approfondir les connaissances en matière de droit musulman qui doit se faire tant sur le plan scientifique que pratique et avant tout à travers « la collecte et l’étude du droit coutumier indigène ».
42. À la fois à travers la collecte de la jurisprudence et la législation coloniale et l’exploration des droits et coutumes indigènes, c’est donc une définition empirique du droit colonial – que toute la doctrine appelle d’ailleurs de ses vœux et en particulier Ilardi dans son premier article – que va initier la Revue durant cinq ans. Mais la courte vie de celle-ci ne permit pas d’explorer tous les champs de recherche du droit et même plus largement de la société coloniale.
43. Cette volonté d’appuyer le discours doctrinal sur des éléments matériels, la législation et la jurisprudence, et la construction empirique d’un savoir juridique colonial, à travers les observations ethnologiques et le recensement des décisions des tribunaux des colonies, détermina la forme que prit la revue et permit la contribution d’auteurs d’origines diverses. En raison de l’ampleur de la tâche engagée, cette démarche ne connut toutefois qu’un début de commencement. De plus on peut observer que les articles de doctrine ne prirent que très peu appui sur la jurisprudence.
44. Le souhait de construire un savoir colonial juridique participait de la volonté d’autonomiser et de donner une réelle portée scientifique au droit colonial. Cette construction, déjà évoquée, fut au centre de la revue et conforte l’idée que la Rivista di diritto coloniale cherchait à devenir une sorte d’Encyclopédie du droit colonial, à la fois en construisant cette « science » et en la définissant. C’est pour cela qu’à côté des différents articles, une partie très importante de la revue est consacrée à la collecte de la jurisprudence et de la législation coloniale [46].
B. La construction d’un savoir juridique colonial
45. Dans son article qui sert d’introduction à la revue, le professeur Bertola souligne la nécessité de récolter la jurisprudence coloniale, et de prendre appui sur celle-ci afin de construire un savoir juridique colonial. À « une diffusion plus adaptée des moyens d’information législatif et jurisprudentiel […] pourra pourvoir maintenant, espérons, cette ‘‘revue’’ » [47]. Bertola souligne que :
jusqu’à ce qu’on ne puisse apprécier, à travers une connaissance complète de la jurisprudence, y compris celle des organes judiciaires mineurs, et une construction monographique actualisée et consciencieuse, l’importance des divers problèmes locaux, la structure exacte des différentes institutions […] il me semble qu’il ne puisse exister de résultats plus utiles [pour le droit colonial] que ceux qu’avait, dans les siècles passés, l’étude de l’anatomie humaine faite simplement à travers les livres, sans dissection directe du corps humain [48].
Ce problème est un problème récurrent du droit colonial qui se structure a posteriori, à partir d’une pratique éclatée, inorganisée, de normes souvent prises au cas par cas et qui est avant tout un droit prétorien. Le décalage entre la pratique et la doctrine est, de manière générale, inévitable, mais il est encore accentué dans le cas du droit colonial en raison de nombreux facteurs : l’éloignement géographique, l’éclatement et le faible nombre des institutions judiciaires, le difficile contrôle des décisions, la situation d’exceptionnalité pour les sujets coloniaux, la variété des droits applicables, la faible formation des juges dans les matières locales et aussi la très récente (et éphèmére) histoire de la matière. Comme le souligne Luigi Nuzzo « le discours juridique et politique italien dans son application coloniale perdait les caractères de généralité, d’abstraction, de scientificité, et d’apolitisme qu’il revendiquait dans la patrie » [49]. Si donc pour l’étude des sciences juridiques il est toujours nécessaire et bienvenu de s’appuyer sur la réalité concrète de la matière vivante qu’est le droit, en raison du caractère exceptionnel du droit colonial cette nécessité devient impérative. C’est le point de vue qu’adopte la revue à un moment où ce droit est en formation. De manière générale les revues scientifiques et juridiques sont d’ailleurs le lieu idéal pour que se rencontrent et se confrontent la pratique et la théorie.
46. C’est ainsi que dans chaque numéro seront récoltées la législation coloniale et la jurisprudence. Certaines décisions seront par ailleurs commentées. Au total 111 décisions seront reportées dans la Rivista di diritto coloniale et 10 d’entre-elles seront commentées.
47. En ce qui concerne la législation, la direction de la revue dans le premier numéro avertit ainsi que la revue « s’apprête à la réalisation d’un devoir très important, qu’elle retient indispensable pour réaliser ses fonctions d’ordre pratique : le recensement ordonné de la législation coloniale italienne […] et c’est pour satisfaire cette nécessité, qui ne peut plus être reportée depuis la fondation de l’Empire et devant l’intensité croissante de l’activité normative en matière coloniale, que la Rivista initie […] le recensement de la législation coloniale italienne, à partir de la date historique du 9 mai 1936 » [50].
48. Encore une fois, le droit colonial est construit par l’adoption au « coup par coup » de lois, de décret…, il est donc impératif pour simplement connaître ce qu’est le droit colonial de relever quels sont les textes qui le composent [51]. Dans l’idée de mettre la législation à disposition des praticiens, celle-ci est précédée dans chaque numéro d’une chronologie et d’un index regroupant par types et par ordre alphabétique les différentes normes rapportées par la revue. Au total ce sont presque 1500 pages de législation qui sont reportées entre 1938 et 1942 dans la Rivista di diritto coloniale.
49. Enfin le troisième élément permettant la construction d’un savoir juridique colonial, est l’étude des droits et coutumes indigènes regroupés dans la catégorie « Diritto indigeno ».
50. Les droits et coutumes « indigènes » étant partiellement reconnus par la législation coloniale (notamment en ce qui concerne les questions de statut personnel), il est nécessaire afin d’en prouver l’existence, que la connaissance des droits indigènes soit la plus complète possible. C’est pour cela que :
la Rivista di diritto coloniale se propose – dans les limites de ses possibilités – de contribuer au relevé et à l’étude des coutumes juridiques indigènes, à travers l’institution d’une Archive des coutumes juridiques indigènes, pour la formation de laquelle elle appelle à la collaboration de tous ceux qui, par leur expérience directe et personnelle en Afrique Italienne, ont eu un contact direct avec les phénomènes juridiques des “natifs” et en ont conservé des traces dans leurs souvenirs personnels [52].
C’est la raison pour laquelle l’ensemble de la revue va être divisée entre une première partie doctrinale et une seconde concernant il « Diritto Indigeno ». Dans cette partie, la plupart des articles sont des études « ethnologiques » des différents peuples de l’Afrique Orientale Italienne et souvent de leur système de propriété foncière. Ces articles tentent avant tout de « défricher » un champ de recherches peu exploré à l’époque. Sont tour à tour étudiés « Les populations du Sidamo. Les Giamgiam » ; « Les impôts fonciers et les tributs dans l’Uollega » ; « Les corporations religieuses indigènes dans le droit colonial italien » ou encore « Les droits réels de garanties dans la coutume musulmane de Lybie » [53]. Dans une certaine mesure, l’anthropologie et l’ethnologie furent aussi utilisées pour mettre en œuvre et organiser la colonisation.
51. Par la récolte de la jurisprudence et de la législation coloniale ainsi que des coutumes indigènes, la revue espère donc donner une base matérielle à la connaissance et à la pratique du droit colonial. Là aussi, cette tentative peut être comprise comme la volonté d’autonomiser le droit colonial qui possède ses propres lois, sa propre jurisprudence et ses propres mécanismes notamment en ce qui concerne la place du droit local. Cette approche par certains aspects empiriques du droit colonial confère aussi un caractère réellement scientifique à une matière vivante, qui n’est pas une pure théorie élaborée dans les universités de la métropole.
52. Par les sujets qu’elle traite, sa structure et ses contributeurs – ce sur quoi nous reviendrons par la suite – la Rivista di diritto coloniale est donc destinée à la fois à des juristes, à des universitaires, mais aussi à des praticiens du droit, en particulier dans les colonies. Cet aspect de la revue est notamment souligné par les thèmes forts qui, au-delà de la définition du droit colonial s’inscrivant, comme nous l’avons dit, dans la démarche de « scientifisation » et d’autonomisation du droit colonial, sont développés au long des différents articles publiés dans la revue.
53. La revue n’est donc pas uniquement une affaire de « doctrinaires » et on peut certainement voir là un des objectifs de la revue, s’adresser aux praticiens du droit ou au moins aux personnes pouvant être intéressées à la connaissance du droit en vigueur dans les colonies.
C. L’émergence de trois thèmes forts du droit colonial italien
54. La revue s’est intéressée à de nombreux domaines divers, constitutifs du droit colonial (droit ecclésiastique, droit musulman, droit agraire, etc.). On peut toutefois dégager de l’ensemble de la revue trois thèmes principaux en raison de l’attention particulière qui leur a été portée : le droit foncier dans les colonies, l’organisation administrative et judiciaire des colonies italiennes et la mise en œuvre des nouvelles lois fascistes concernant notamment les corporations et les lois racistes.
55. Le droit foncier est une des premières préoccupations de la revue. Quatre articles à ce sujet ont été publiés dans la catégorie « Dottrina » et trois dans la catégorie « Diritto indigeno ». L’intérêt pour la matière foncière au sein du droit colonial n’est bien sûr pas propre à l’Italie [54]. Elle découle même de la nature intrinsèque de la colonisation qui consiste en grande partie en l’occupation et l’exploitation des terres. C’est ainsi que l’on retrouve dans cette catégorie, des articles sur « Domaine public et biens patrimoniaux en Afrique Italienne et dans le Royaume, dans leurs caractères différenciés d’administration » [55], « Orientations sur le régime juridique de la propriété foncière dans l’Empire » [56] (écrit par un fonctionnaire colonial – Mattia Minnini – qui fut à l’ufficio studi (bureau des études) du ministère de l’Afrique Italienne puis Direttore di Governo). Dans des domaines voisins, un article est publié sur la législation agraire par le spécialiste internationalement reconnu de la matière, Giangastone Bolla [57] et un article sur le droit minier [58]. Il est à noter que dans la catégorie « Diritto indigeno », si les articles ont comme principal objectif la compréhension du droit foncier indigène, certains proposent aussi une orientation quant à la politique foncière de l’Empire. Ainsi dans le long article publié sur quatre numéros de la revue, « Le régime des terres dans le Governo de l’Harar », Enrico Brotto revient sur les différentes formes de propriété et d’occupation des terres dans cette région. Il préconise d’en faire une utilisation différente en fonction de « l’intérêt de la colonisation » [59].
56. Un autre aspect largement exploré par les auteurs de la revue est le rapport entre l’administration et les colonies. D’une part il y a des articles concernant le droit public colonial avec des articles comme celui écrit par le Conseiller d’État Parpagliolo, « Les affaires de l’Afrique Italienne au Conseil d’État » [60] (le Conseil d’État récupérant en 1939 des attributions jusqu’alors dévolues au Conseil Supérieur Colonial – Consiglio Superiore Coloniale), ou celui de Alberto Agresti concernant l’organisation fédérale des colonies italiennes « Grandes lignes de la colonie fédérale d’A.O.I. » [61]. D’autres ont trait à des institutions administratives propres aux colonies comme les « Délégations et administrations des fonds » [62] ou encore les organes consultatifs de l’administration coloniale [63].
57. Cette place particulière du droit public n’est pas non plus propre aux colonies italiennes. Pour l’ensemble des États européens, l’administration occupe une place de premier ordre dans les colonies et il est donc logique que les rapports entre les colonies, l’administration et les particuliers soient étudiés.
58. Toutefois dans le cas de l’Italie, on peut se demander si la place de l’administration dans les colonies n’était pas plus importante en raison d’un certain dirigisme de l’État et du parti fasciste ainsi que d’une nature particulière de la colonisation, « impériale », tardive, sans réel peuplement, ni véritable exploitation des terres. C’est, en tout cas, ce que laisse penser l’étude de la Rivista di diritto coloniale notamment en raison de la présence d’un nombre extrêmement important d’articles concernant l’extension aux colonies des corporations mises en place par le régime fasciste en métropole [64]. Au moins quatre articles (sur trente articles que comporte la catégorie « Dottrina ») traitent de cette question. Les corporations dans les colonies se mettent à peine en place au moment où paraît la revue, et c’est l’occasion pour les auteurs de réclamer une véritable reconnaissance et un statut particulier, détaché des corporations métropolitaines, pour les corporations coloniales [65]. Ainsi de la même façon que les spécialistes de droit public étudièrent de façon attentive le nouveau régime des corporations à la fin des années 1930 [66], leur extension aux colonies appela l’attention des colonialistes.
59. Au-delà de ces articles sur les corporations, les réformes adoptées par le régime fasciste ne marquent réellement la revue de leur empreinte que par un autre article de Mario Manfredini « Racisme, mariage et légitimation de descendance dans l’Empire » [67]. Cet article centré sur la défense de la race, et se référant aux lois antisémites de l’Allemagne nazie, est un plaidoyer pour la condamnation pénale des relations sexuelles entre les européens et a fortiori les nationaux italiens et les indigènes [68]. Il s’agit du seul article qui en raison de son sujet est entièrement ancré dans l’élaboration du « droit raciste » [69] actuellement à l’œuvre dans l’ensemble de l’Impero italiano. Cela n’empêche pas qu’un grand nombre d’autres articles ne sont pas exempts de réflexion ou d’arguments racistes et que le droit colonial dans son ensemble est fondée sur une différenciation juridique entre les citoyens italiens et les sujets coloniaux basée de plus en plus sur l’unique critère racial [70].
60. La Rivista di diritto coloniale tant dans son organisation que par les thèmes qu’elle aborde est conçue comme un objet scientifique visant au développement et à la reconnaissance du droit colonial en tant que matière juridique à part entière. Cette volonté implique pour la revue deux aspects, se nourrissant l’un l’autre, un côté théorique, afin de définir et d’approfondir la doctrine du droit colonial et de l’autre, un aspect plus « utilitaire » afin d’être un outil au service des juristes en général et des praticiens du droit colonial en particulier. C’est d’ailleurs là le rôle essentiel de l’ensemble des revues juridiques et même scientifiques. À la fois un lieu de rencontre entre la matière brute et la théorie. Le lieu où s’élabore le savoir, où se confrontent les opinions. La Rivista di diritto coloniale concentre ces aspects mais, certainement en raison de la jeunesse et d’une certaine façon de la confidentialité de la matière au sein des sciences juridiques italiennes, elle parvient difficilement à les articuler et à les mettre en relation. Il est manifeste à ce sujet que la jurisprudence ne serve que très rarement de matière brute aux articles de doctrine publiés, et dans une moindre mesure, que les références à des monographies ou des articles déjà publiés ne soient pas légion. À nouveau résonne l’écho de la difficile systématisation du droit colonial italien. La Rivista di diritto coloniale peut donc être envisagée comme un témoin et surtout un acteur, voire un « accoucheur » du droit colonial italien.
61. La volonté de concentrer et de formuler, de créer un savoir juridique colonial a marqué évidemment les auteurs de la revue. La confrontation entre la pratique, la réalité, le terrain et un savoir théorique, universitaire (par conséquent métropolitain) se reflète chez ceux qui ont rempli les colonnes de la Rivista di diritto coloniale.
II. Des acteurs de la construction du droit colonial italien d’origines diverses
62. Si l’on s’intéresse aux auteurs de la revue, on peut adopter quasiment le même schéma de discussion qu’en ce qui concerne les articles. Ainsi on peut relever plusieurs « catégories » d’auteurs qui ont participé à son écriture. Évidemment, il y a une césure principale et « classique » entre d’un côté les enseignants de droit et de l’autre les professionnels, parmi lesquels quelques praticiens du droit et des fonctionnaires coloniaux (même si évidemment la frontière entre ces catégories est poreuse). Ensuite il y a, et c’est là un aspect qui rejoint l’idée d’un « droit colonial en formation », une séparation au sein des enseignants, des spécialistes du droit colonial d’une part – des « colonialistes » – et d’autre part des juristes spécialisés dans d’autres matières, portant leur regard sur un aspect du droit colonial.
63. Au total, 31 auteurs ont participé au fonctionnement de cette revue en y publiant 47 articles, beaucoup d’entre eux n’ayant fourni qu’un seul article. Parmi ceux-ci, 15 faisaient partie du comité scientifique de la revue.
64. Il convient donc de revenir sur les hommes qui animèrent la revue. N’ayant pu retrouver les archives de la revue, il est difficile de se faire une idée sur la place que chacun occupait au sein de celle-ci. Il est même difficile de savoir s’il y eut une sélection des auteurs, une demande particulière adressée à certains spécialistes du droit colonial ou d’autres domaines juridiques. On peut toutefois, en se basant sur les dossiers de carrière ou sur les biographies [71] de ces auteurs se faire une idée des hommes autour de laquelle se créa et vécut la Rivista di diritto coloniale.
A. Des colonialistes italiens
65. Au total, les auteurs étant des spécialistes du droit colonial furent au nombre de six sur l’ensemble de la revue. Tous ne furent pas directement des enseignants de droit colonial, ou pas à l’époque où ils publièrent leurs articles, mais en raison des thèmes qu’ils abordent dans leurs différents articles au sein ou en dehors de la Revue ainsi que dans leurs ouvrages, ils peuvent être considérés comme tels.
66. Le premier d’entre eux fut bien évidemment son directeur, Saverio Ilardi qui semble avoir réellement été le seul pilier de la revue. D’ailleurs il faut noter que, pour des raisons qui restent inconnues, un changement survient au sein de la revue lors de la troisième année de publication. La maison d’édition Cappelli n’est plus mentionnée et de même l’adresse de l’administration de la revue, qui était celle de l’éditeur est modifiée. C’est l’adresse du cabinet d’avocat d’Ilardi qui devint l’unique moyen de joindre la Rivista di diritto coloniale. Au-delà des tâches administratives, Ilardi se distingue des autres auteurs par le nombre d’articles qu’il a fourni. Il en fournit sept au total.
67. Au départ Ilardi n’est que libero docente de droit commercial à l’université de Rome puis à Sienne et à Gênes jusqu’en 1940 – année semble-t-il où il obtient la chaire de droit colonial de l’université de Sienne [72]. On peut émettre l’hypothèse que son rôle au sein de la revue n’a d’ailleurs pas été étranger à sa nomination en tant que professeur [73].
68. D’autres professeurs de droit colonial particulièrement reconnus furent des collaborateurs comme Ernesto Cucinotta de l’université de Rome qui fut par ailleurs juge au tribunal mixte du Caire puis conseiller à la Cour de Cassation. Celui-ci fournit deux articles à la revue [74]. Un autre spécialiste reconnu comme tel est Renzo Sertoli Salis qui occupa la chaire de droit colonial de Pavie de 1936 à 1943. Il publia un article dans la revue, même si celui-ci concernait les concessions minières en Afrique Orientale Italienne [75].
69. On peut noter que parmi les spécialistes de droit colonial, un certain nombre proviennent du droit ecclésiastique. C’est notamment le cas de Arnaldo Bertola qui fit le discours repris en introduction de la Revue sur la nécessité de perfectionner les études juridiques coloniales. Celui-ci après avoir été président du tribunal de Rhodes s’est vu attribuer la chaire de droit ecclésiastique à l’université d’Urbino puis de Turin, universités dans lesquelles il assura les enseignements de droit colonial. Comme le relève une note de son dossier de carrière « Il faut noter qu’assumant cette charge de droit colonial le professeur Bertola dédit toujours une juste et particulière importance aux parties concernant le régime des cultes dans les colonies, la vigueur du droit ecclésiastique et religieux des différentes confessions dans le système général des sources locales, les juridictions religieuses, etc. » [76]. D’ailleurs la reconnaissance de Bertola comme colonialiste est attestée par le fait qu’il fut nommé par le ministère de l’Afrique Italienne pour participer à une mission d’étude concernant les propriétés foncières de l’Église et des couvents coptes et des communautés musulmanes de l’Empire en 1938.
70. Un autre professeur de droit ecclésiastique dont le droit colonial fut un des sujets de prédilection est Costantino Jannaccone de l’université de Pise. Il fut le président de la faculté de droit où il enseigna le droit canonique, le droit ecclésiastique et le droit colonial [77]. Enfin on peut citer Gaspare Ambrosini qui fut à partir de 1937 professeur de droit colonial de l’université de Palerme et qui fut lui aussi par le passé professeur de droit ecclésiastique. Même si entre temps, il fut durant plus de 15 ans, professeur de droit constitutionnel [78].
71. Cette présence de professeurs de droit ecclésiastique chez les enseignants de droit colonial doit encore être éclaircie. Peut-être est-elle due à une certaine logique de carrière, à un trop faible nombre de postes en droit ecclésiastique (c’est ce manque de postes qui poussera Ambrosini à se tourner vers le droit constitutionnel) et une forte demande d’enseignants de droit colonial. On peut aussi émettre l’idée d’une certaine proximité des matières, le droit ecclésiastique comme le droit colonial étant deux sphères du droit fonctionnant « en parallèle » du droit métropolitain ou laïque, séculier. C’est d’ailleurs remarquable que dans son célèbre ouvrage L’ordinamento giuridico, le professeur Santi Romano lorsqu’il étudie un ordre juridique non étatique, étudie spécialement le droit ecclésiastique (§ 29) [79]. C’est peut-être là qu’il faut chercher la raison de la proximité des enseignants de droit ecclésiastique avec le droit colonial, en ce qu’il s’agit de l’étude de deux ordres juridiques différents de l’ordre étatique [80].
72. Bien qu’elle n’ait pas reçu le concours de tous les spécialistes du droit colonial, comme Massimo Colucci ou Umberto Borsi [81], etc. la Rivista di diritto coloniale a néanmoins connu la participation d’éminents spécialistes du droit colonial. Ceux-ci ont surtout animé les discussions autour de la qualification du droit colonial, discussions qui se menaient au sein de la revue mais aussi entre revues comme nous l’avons vu avec la réponse d’Ilardi à l’article de Macchia publié dans la Rivista delle colonie.
B. La participation ponctuelle de juristes étrangers au droit colonial
73. D’autres universitaires ont participé à la revue en étant toutefois complètement étrangers au droit colonial. C’est le cas notamment de Giangastone Bolla qui était un des spécialistes internationaux du droit agraire. Il avait notamment fondé en 1922 la Rivista di diritto agrario puis en 1936, l’Osservatorio Italiano di Diritto Agrario. Pour la revue, il publie dans le quatrième numéro un article intitulé « Tendances de la législation agraire de l’Afrique Italienne » [82]. Dans le même ordre idée, un tout jeune diplômé en droit administratif, Flaminio Franchini qui deviendra par la suite un administrativiste renommé, publie un long article sur « Les organes consultatifs de l’administration coloniale » [83].
74. La revue au sein du monde universitaire n’a donc pas été limitée aux seuls colonialistes, lesquels de toute façon étaient bien souvent originaires d’autres matières et étaient en faible nombre parmi les juristes des universités italiennes. Cette participation d’universitaires étrangers au droit colonial (même si dans notre cas elle se limite à quelques individus en raison de la courte vie de la revue), vient certainement de la particularité même du droit colonial. En effet le droit colonial est une matière qui comme le soutenait Ilardi se distingue des autres matières juridiques non car elle en constitue une branche spéciale mais car elle regroupe l’ensemble des matières juridiques (droit pénal, civil, administratif, social, etc.) appliquées au domaine colonial. C’est ce qui explique la diversité des thèmes abordés au sein de la revue.
C. Des acteurs du monde colonial
75. Dans l’article sur « La formation d’une archive des coutumes indigènes », la direction appelle tous ceux qui le peuvent, en raison de leur expérience personnelle en Afrique Italienne, à contribuer à l’écriture de la revue. Au-delà de l’écriture du droit indigène, les acteurs du droit colonial constitueront de manière générale, la majeure partie des auteurs de la revue, au moins 16 des 31 auteurs.
76. C’est ainsi que des Consigliere di Governo comme Angelo Macchia, Antonino Scandura, Umberto Compasso, ou Enrico Brotto écrivirent des articles sur des sujets touchant à la définition du droit colonial, au droit musulman et à sa codification ou aux différents droits indigènes. Des avocats qui avaient leur cabinet en Métropole mais devaient certainement pratiquer dans les colonies participèrent aussi à la rédaction d’articles. Le Premier président de la Cour d’appel de Libye publia quant à lui un article sur la justice chariatique en Somalie [84]. On peut aussi relever le chef de section de la comptabilité centrale de Somalie qui au regard de son expérience écrivit un article intitulé « Domaine public et biens patrimoniaux en Afrique Italienne et dans le Royaume, dans leurs caractères différenciés d’administration » [85].
77. Un conseiller d’État, Adolfo Parpagliolo publia un article sur les affaires africaines au Conseil d’État [86]. Ce dernier venait alors d’être nommé à la Section VI du Conseil d’État instituée spécialement pour les affaires africaines et avait passé toute sa carrière au ministère des colonies quasiment depuis sa création en 1912 [87].
78. Une autre éminence ayant participé à l’écriture de la revue fut le spécialiste des études éthiopiennes, Carlo Conti Rossini. Conti Rossini mena tout au long de sa carrière d’africaniste de larges études, la plupart historiques, sur les populations d’Éthiopie et d’Érythrée, leurs langues, littératures, religions, archéologies, architectures et aussi leurs droits. Ainsi en 1916, il publia Principi di diritto consuetudinario dell’Eritrea, une commande du ministère des colonies et qui s’inscrivait dans la volonté de fixer les coutumes locales afin de pouvoir les adapter au droit italien. Pour la revue, il publie un article « Sur les Guraghè et sur leurs coutumes avant la conquête shewane » [88]. Un de ses collègues « éthiopistes » qui fut par ailleurs gouverneur d’Addis-Abeba, Martino Mario Moreno publia dans le même numéro un article sur une population de la région de Sidamo une province éthiopienne [89].
79. La Rivista di diritto coloniale, dont l’objectif était entre autres d’asseoir le droit colonial sur une étude précise, on peut même dire empirique des droits locaux mais aussi de la pratique du droit dans les colonies, a donc ouvert largement ses pages à des auteurs étrangers ou du moins distants du monde universitaire qui ont pu apporter des nouvelles pièces au puzzle du droit colonial.
80. Les participations à la revue ont donc été d’origines assez diverses. Tout en restant pertinentes en raison de leur caractère juridique, les études proposées sont le plus souvent des études précises, presque de terrain. Cette différenciation et cette spécialisation des auteurs nous éclaire sur la démarche dans laquelle s’inscrit le droit colonial en formation. Des spécialistes de la matière théorisant, et dégageant les idées forces voire les principes fondamentaux du droit colonial et cela à partir d’une matière plus ou moins « brute » selon qu’elle est apportée par des juristes universitaires ou praticiens.
81. Étudier la Rivista di diritto coloniale présente donc l’intérêt d’observer la (courte) vie d’une revue qui se donna pour objectif de fonder une matière : le droit colonial italien. Cela en lui donnant un caractère autonome des autres matières juridiques et un caractère scientifique, car basé sur la réalité des rapports juridiques et de la pratique au sein des colonies. L’ensemble de la revue fut marqué par cette volonté tant dans sa structure qu’en ce qui concerne les auteurs qui y participèrent. En même temps, la revue ne se limita pas à absorber les connaissances empiriques pour les traduire sous une forme plus abstraite ou théorique mais fit aussi l’effort d’être un outil pour les praticiens du droit dans les colonies, en publiant des articles doctrinaux répondant à des préoccupations immédiates pour les juristes italiens comme le droit foncier ou les organisations corporatives.
82. Par ailleurs, on peut aussi se dire que la forme de revue, à la différence d’une monographie, semble la plus adaptée à la construction d’une « polémique » scientifique nécessaire à la construction et au développement d’une science ou d’une matière comme nous en avons eu un aperçu avec la discussion sur la qualification du droit colonial. La relative fréquence des publications – en cinq ans, onze numéros furent publiés – est par ailleurs un avantage pour faire aller de l’avant le débat.
83. L’étude de cette revue pourrait être portée plus avant, notamment en accédant aux archives propres de la revue qui demeurent pour l’instant introuvables. Celles-ci permettraient notamment d’analyser quelle fut réellement la diffusion de la Rivista di diritto coloniale, les rapports qu’elle entretenait avec l’administration coloniale, avec le gouvernement, avec le monde universitaire… Une comparaison avec les autres revues coloniales italiennes comme étrangères serait certainement riche d’enseignements car tout en ayant eu des trajectoires, des constructions et des durées de vie différentes, les empires coloniaux et les droits coloniaux européens ont vécu certains développements semblables.
84. La démarche de la revue dont un aspect consiste à participer à la « fondation » d’une matière scientifique entraîne un certain nombre de questions notamment sur la possibilité de fonder une telle matière de manière « volontariste » ou si celle-ci connaît une existence propre et appelle par la suite une « théorisation », une « mise en ordre ». Ici encore, on peut se demander si cette démarche fut propre au droit colonial italien ou si les droits coloniaux français ou anglais ont eux aussi connu des situations analogues durant lesquels ils durent d’une certaine façon légitimer leur existence.
85. Un des derniers problèmes que connut cette revue enfin fut son existence limitée à cinq années, au-delà desquelles l’Empire italien n’exista plus. Il n’est donc que très peu utile de se demander si elle remplit l’objectif qu’elle s’était fixé : faire du droit colonial une matière juridique scientifique et autonome. Mais il est certain qu’elle apporta d’importantes pierres au débat, comme le prouvent les rares études d’histoire du droit colonial italien dans lesquelles elle est fréquemment citée.
Toussaint Réthoré
Doctorant en Histoire du droit
Univ. Lille, CNRS, UMR 8025 – CHJ – Centre d’histoire judiciaire, F-59 000 Lille, France