Introduction
1. La question de la formation des élites (notamment des membres des grands corps de l’État) fait l’objet d’une actualité mouvementée [1]. En effet, cette formation se trouve confrontée à la mondialisation, à l’internationalisation croissante de l’enseignement et aux transformations politiques et sociales en cours. Cette interrogation contemporaine nourrit la réflexion de chercheurs à l’image de Christophe Charle qui s’est penché dans ses travaux sur la sociologie des professeurs et sur la professionnalisation d’un certain nombre de métiers pendant le xixe siècle [2]. De même la place du droit dans la formation des élites a fait récemment l’objet d’un projet de recherche lequel s’est concentré principalement sur le xxe siècle [3].
2. Cette problématique se retrouve également dans le champ de l’histoire du droit international. Le consensus historiographique actuel tend à marquer l’institutionnalisation et la professionnalisation de la discipline du droit international dans les années 1870 [4]. C’est-à-dire au moment de la fondation de l’Institut du droit international et des revues scientifiques spécialisées à l’image de la Revue de droit international et de législation comparée. C’est ce que relate Martti Koskenniemi dans le chapitre introductif de son Gentle Civilizer of Nations dans lequel il décrit la naissance de « la période héroïque » du droit international [5]. De même, Milos Vec et Luiggi Nuzzo identifient l’autonomie de la discipline dans les années 1870 [6]. Quant à Vincent Génin, il affirme que c’est bien les années 1869-1873 qui ont établi « l’institutionnalisation du droit international comme phénomène transnational » même s’il évoque les congrès de la paix des années 1840-1850 et qu’il rappelle l’importance des congrès de l’Association pour le progrès des sciences sociales dans les années 1860 dans la formation des réseaux de juristes à l’origine de la fondation de l’Institut du droit international [7]. De même, sur le terrain de la juridicisation des relations internationales, Milos Vec a théorisé l’idée de Rechtsvermeidung (évitement légal) dans les relations internationales à l’époque du congrès de Vienne [8].
3. Cette contribution se propose de poursuivre ces réflexions à travers l’étude de l’école des diplomates fondée par le comte d’Hauterive au prisme des concepts de professionnalisation des diplomates et des juristes internationalistes et de juridicisation des relations internationales. La professionnalisation d’un métier (diplomate, professeur) peut se définir comme la constitution d’une profession et la construction d’une communauté de pairs obéissant aux même règles [9]. Quant à la juridicisation des relations internationales elle se caractérise par l’expansion des règles juridiques et du pouvoir juridique sur la résolution des conflits ainsi que le monopole croissant des internationalistes « professionnels » dans la sphère juridique [10]. À cet égard professionnalisation et juridicisation peuvent se rejoindre. Ainsi, la construction juridique de la neutralité de la Suisse et la création de la Commission centrale pour la navigation du Rhin en 1815, ou la Déclaration relative aux principes du droit maritime en temps de guerre en 1856 peuvent témoigner d’une certaine juridicisation des relations internationales [11]. De même, on va le voir, une certaine juridicisation des relations internationales peut se faire sentir lorsque des « juristes-diplomates » formés à l’école des diplomates d’Hauterive se retrouvent à la tête d’une institution chargée de régler les affaires juridiques (droit maritime, droit international privée, droit des étrangers) au sein du ministère français des Affaires étrangères.
4. Par ailleurs, cette recherche porte sur une période moins étudiée de l’histoire du droit international puisque du fait du consensus historiographique sur l’institutionnalisation et la professionnalisation de la discipline dans les années 1870, la plupart des études se concentrent sur cette « période héroïque » du droit international [12]. Pour autant, l’ordre européen international, mis en place dans les années 1814-1818 par le congrès de Vienne, la seconde paix de Paris et le congrès d’Aix-la-Chapelle, a fait l’objet de travaux récents [13]. De plus, la plupart des historiens s’accordent désormais sur l’émergence d’un nouvel ordre international (européen) à travers un mécanisme multilatéral de sécurité collective [14]. Mais, comme l’a remarqué, l’historien Wolf Gruner, les chercheurs ne se sont pas encore intéressés au rôle des juristes internationalistes dans la construction juridique du nouvel ordre international (européen) de 1815 [15]. De même, l’analyse des réseaux des juristes et activistes des mouvements pour la paix dans les années 1815-1869 demeure en grande partie un désidérata de l’historiographie [16]. Tout comme la place des juristes au sein des ministères des Affaires étrangères dans les années 1800-1869 et leurs liens avec les Académies des sciences, les revues scientifiques et les universités [17]. En France, c’est le Comité consultatif du contentieux qui était en charge de régler les affaires juridiques. La section du contentieux a été créé dès le 25 décembre 1810 par décret puis en avril 1835, Louis Philippe approuve la création d’un bureau du contentieux et d’un Comité consultatif de cinq membres à la demande du duc De Broglie qui soulignait l’augmentation « d’affaires de ce genre depuis la paix de 1815 » [18]. En réalité, les cinq premiers membres du comité étaient tous membres du Conseil d’État et membres de la Commission d’exécution de la convention du 25 avril 1818 sur le paiement des indemnités dues par la France [19]. Par ailleurs, la plupart des membres du Comité consultatif avaient été formés à l’école des diplomates.
5. À la fin du xviiie siècle et pendant une grande partie du xixe siècle, la question du rapport entre la formation des diplomates et le droit des gens a fait l’objet de nombreux débats dans toute l’Europe. Ce questionnement sur la nécessité de réformer et de professionnaliser le métier de diplomate découle en partie du nouveau paradigme des relations internationales introduit par la Révolution française [20]. La société des princes a bien laissé place à la communauté des nations et la conscription a radicalement changé les guerres interétatiques [21]. En France, le comte d’Hauterive personnifie ces tentatives de réformes de la diplomatie au point d’avoir donné son nom à l’école des diplomates qui exista de 1800 à 1830 au sein du ministère des Affaires étrangères. Figure majeure de la diplomatie française de la fin du Directoire à la révolution de Juillet, le comte d’Hauterive demeure relativement méconnu, même si des articles récents ont comblé une partie des lacunes historiographiques [22]. En tout cas, des sources inédites, dorénavant aux Archives du ministère des Affaires étrangères de la Courneuve à l’image de son journal et d’une importante correspondance, permettent d’apporter un nouvel éclairage sur cet épisode de l’histoire du droit international [23].
6. Ces sources partiellement inédites et les écrits d’Hauterive relatifs à la formation de diplomates seront analysés au prisme des questions du lien et de l’influence réciproque entre théorie du droit des gens et pratique diplomatique, et de la professionnalisation du métier de diplomate de la fin du xviiie siècle au milieu du xixe siècle. De même, la carrière de trois anciens élèves de l’école d’Hauterive au sein du Comité consultatif du contentieux du ministère des Affaires étrangères illustre en partie la professionnalisation du métier de diplomate et la juridicisation des relations internationales.
I. Un théoricien pragmatique fondateur de l’école des diplomates
A. Formation et itinéraire d’un pilier de la diplomatie française
7. Le comte d’Hauterive (1754-1830) n’a pas encore trouvé son biographe scientifique à l’image de Talleyrand [24]. Mais, peu après sa mort, une histoire de sa vie avait été publié par son ami et ancien élève de l’école des diplomates Artaud de Montor (1772-1849) ; Charles-Henri Vergé (1810-1890), l’un des premiers français qui deviendra membre de l’Institut du droit international, lui avait aussi consacré une biographie [25]. Hauterive a pourtant joué un rôle majeur dans la politique et la diplomatie françaises de 1785 jusqu’à la révolution de 1830. Il était non seulement un acteur diplomatique de premier plan, mais également un théoricien des relations internationales et l’auteur d’une cinquantaine de traités aujourd’hui éparpillés dans les archives de France et d’Europe [26].
8. Les sources ne permettent pas d’analyser précisément sa formation et ses années de jeunesse passées à Aspres-lès-Corps, un petit village des Hautes-Alpes. En tout cas, à l’image de Fouché, il rentre à quinze ans à l’oratoire et y reste une quinzaine d’années d’abord comme élève puis comme professeur à Montmorency, Riom et Tours [27]. C’est à l’occasion d’un discours de distribution des prix au collège de Tours qu’il aurait rencontré le duc de Choiseul (1719–1785) lequel l’invita régulièrement en son château de Chanteloup où il aurait fait la connaissance de Talleyrand.
9. En 1784, il entame la carrière diplomatique en accompagnant le neveu du duc dans l’empire Ottoman [28]. Il devient ensuite secrétaire de l’hospodar de la Moldavie en 1785. Les principautés de la Valachie et de la Moldavie constituaient à l’époque un centre diplomatique entre les puissances européennes et l’Empire ottoman. La France avait obtenu ce poste de secrétaire du prince de la Moldavie qui permettait de jouer les premiers rôles dans les principautés et la diplomatie européenne en Orient jusqu’à l’unification des deux principautés en 1859 [29]. Pendant son séjour, Hauterive se passionne pour le pays, la langue et les mœurs des Moldaves et rédige plusieurs mémoires sur le sujet [30].
10. De retour à Paris en 1788, après trois années passées à Iaşi et un séjour à Constantinople, il mène une vie d’aristocrate sans soucis matériels grâce à son mariage, avant que la révolution ne vienne ruiner cette vie de rentier. Il reprend donc du service comme consul à New York en 1792, mais ne reste que deux ans en place, avant d’être destitué par l’ambassadeur Genet [31]. Pour autant, Hauterive demeure aux États-Unis jusqu’en 1797 où il renforce son amitié avec Talleyrand, ce qui l’aida très certainement à obtenir une place de premier plan au ministère des Relations extérieures à son retour en France à la fin de l’année 1797 [32].
11. Après la réorganisation du ministère sous le « franco-allemand » Reinhard, Hauterive fut nommé chef de la nouvelle division du nord en août 1799 puis en janvier 1800, chef de la division du midi [33]. C’est à cette période qu’il se distingue à travers un premier débat bien connu des historiens l’opposant à Friedrich Gentz sur le terrain de l’ordre européen et du droit public de l’Europe [34]. Par cette entrée dans le débat théorique à l’échelle européenne, Hauterive devient un des éléments clefs de la diplomatie napoléonienne. Il participe à la signature du Concordat en 1801, s’illustre lors de la paix d’Amiens, dans la cession de la Louisiane et assure l’intérim à la tête du ministère des Relations extérieures lorsque Talleyrand s’absente [35]. Il continue à lier la théorie et la pratique en rédigeant des plans de réorganisation de l’Europe et de l’Allemagne dans les années 1805-1806 [36].
12. En 1807, il est nommé directeur des Archives du ministère [37]. Cette direction comportait de nombreuses sections dont l’école des diplomates. Hauterive continue par ailleurs à s’occuper du « droit public de l’Europe » tout en étant chargé encore en 1809 par intermittence de l’intérim du Ministre [38]. Alors que la question de la neutralité maritime et du droit des neutres se trouve ravivée par le système continental, Hauterive participe à un deuxième débat moins célèbre avec Gentz en publiant, entre 1806 et 1812, plusieurs mémoires sur les « principes et lois de la neutralité maritime » [39]. Le droit maritime international est l’une des branches principales du droit des gens avec une forte activité juridictionnelle à travers le Conseil des prises rétablis en 1800-1815 (avec J.-E.-M. Portalis comme commissaire du gouvernement en 1800) [40]. De même, une grande partie des dossiers et des affaires sur lesquels devaient se pencher le Comité consultatif du contentieux entre 1835 et 1914 portaient sur le droit maritime [41].
13. À la chute de l’Empire, Hauterive se retire quelques mois dans le Dauphiné avant de revenir à Paris alors que le congrès de Vienne a commencé [42]. Il écrit à Dalberg à Vienne en novembre 1814 « qu’il vient de passer des mois de congés sans lire de livres ou de journaux » et qu’il ne s’est pas « occupé un seul instant » de « l’abime de la politique de votre congrès » [43]. À Paris, il est membre du conseil du Roi et retrouve sa place aux archives [44]. Resté à son poste pendant le congrès de Vienne et les Cent-jours, c’est lui qui rédige le discours lu par le duc de Richelieu aux deux Chambres portant sur le traité de Paris du 20 novembre 1815 préparé là encore par son ennemi de plume (Gentz) [45].
14. Sous la Restauration, il conserve son poste de garde des Archives, publie surtout des ouvrages d’économie politique, mais également sur la formation des diplomates et l’apprentissage des langues étrangères et s’occupe de son école de jeunes aspirants avant de s’éteindre en pleine révolution le vingt-huit juillet 1830 [46].
B. Mise en place et fonctionnement d’une nouvelle école de diplomates
15. L’école fondée en 1800 s’inscrit dans une longue histoire de tentatives de trouver le meilleur mode de recrutement des diplomates [47]. Par ailleurs, l’expérience de l’école des années 1800 à 1830 doit être replacée dans son cadre post-révolutionnaire avec l’affirmation des principes de la Révolution et notamment l’égal accès aux emplois publics [48]. L’école s��inspire des expériences du passé tout en se trouvant en concurrence avec d’autres institutions qui, de fait, ont joué, le rôle d’école diplomatique à l’image de l’Université de Strasbourg. En effet, Clemens von Metternich (1773-1859), Louis-Philippe de Ségur (1753-1830) en passant par Edouard Bignon (1771-1841), Louis-Guillaume Otto (1754-1817) ou encore André Razoumovski (1752-1836) et Carl Löwenhielm (1772-1861) ont tous étudié à Strasbourg [49]. De même, l’école des langues orientales fondée en 1795 et qui semble toujours joué aujourd’hui un rôle de passage obligatoire lorsqu’on examine le Curriculum Vitae de la plupart des diplomates contemporains, ou encore à l’échelle européenne l’Université de Göttingen, ont également attiré un grand nombre de futurs diplomates [50].
16. Au moment de la création de l’école en 1800, Hauterive avait rédigé un rapport sur l’Académie politique de Torcy laquelle n’avait eu qu’une existence éphémère entre 1712 et 1720 et qui ne devait accueillir que six élèves, guère assidus, par année [51]. De plus, Hauterive s’était aussi inspiré du projet de Rayneval comme le révèle deux notes qui portent sur un projet d’un dénommé Gérard (à priori le frère ainé de Rayneval) datant de 1786. Ce projet « Gérard » de formation des secrétaires d’ambassade soulignait l’importance de bien connaître les langues étrangères ainsi que l’histoire du droit public d’Allemagne du fait de la « constitution compliquée du corps germanique » pour la formation des diplomates [52].
17. En 1800, la première section d’« élèves aspirants » de l’Ecole d’Hauterive à vue le jour avec notamment dans ses rangs, Joseph Marie Portalis (1778-1858), Joseph Balthazard Siméon (1781-1846) ou encore Antoine-Marie Roederer (1782-1865) [53]. C��est dans le contexte de création d’écoles spéciales (Académie de législation, Université de jurisprudence) par l’élite du consulat que l’école des diplomates d’Hauterive est créée [54]. L’école connait très vite un grand succès. En effet, pendant le congrès d’Amiens, plus de 90 élèves aspirants se trouvent, soit à l’école aux archives soit en poste dans les diverses ambassades françaises en tant que premiers secrétaires de légation (aspirants stagiaires) [55].
18. À la fondation de l’École, les élèves étaient recrutés simplement sur la base d’un examen. Cet examen portait sur deux langues modernes et des connaissances en histoire universelle et en géographie. En pratique, c’est principalement par recommandation et patronage que les élèves aspirants étaient recrutés dans l’école située dans le bâtiment des archives [56]. Les fils Roederer, Siméon, Portalis et Rayneval (1778-1836) peuvent tous bénéficier de l’influence de leurs pères respectifs Pierre-Louis Roederer (1754-1835), Jean-Étienne Marie Portalis (1746-1807), Joseph Jérôme Siméon (1749-1842) et Matthias Joseph Gérard de Rayneval (1736-1812), professeurs à l’Académie de législation pour les trois derniers. Selon Jean Baillou, le seul exemple de méritocratie aurait été Lajonchère, élève du Prytanée militaire repéré par Napoléon [57]. Mais, on pourrait au moins rajouter Louis Sérurier (1775-1860) [58] lequel a mené une carrière diplomatique exemplaire : Secrétaire d’ambassade à La Haye (1803-1810), ambassadeur aux États-Unis (1810-1815) et en Belgique (1836-1840). Dans la liste des élèves de 1802, on retrouve des fils et neveux d’hommes politiques, comme Felix Lajard, neveu de Chaptal, et fils d’un père conseiller général de l’Hérault, qui a effectué une brillante carrière diplomatique qui l’amena jusqu’en Perse [59]. On peut citer également, Jean Louis Rieul de Viefville (1781-1837) fils d’un avocat, député de l’Assemblée constituante de 1789, maire de Guise en 1800 ; Artaud de Montor, le biographe d’Hauterive ; Pierre Édouard Lefebvre (1769-1828), père d’Armand Lefebvre (1800-1864), lequel a été aussi élève aspirant de l’école des diplomates sous la Restauration puis membre, sous le Second-empire du Comité consultatif du contentieux du ministère des Affaires étrangères ; Laubépin, un cousin de Lafayette ; et Jorelle, l’un des rares membres d’origine modeste [60]. Il y avait également beaucoup de germanistes (ramenés probablement par Charles-Frédéric Reinhard) formés à Strasbourg, des émigrés, Clément-Edouard de Moustier, Claude Derville-Maléchard, et bien sûr des membres de l’ancienne noblesse, de la noblesse d’empire et de la haute bourgeoisie [61]. En revanche, seulement un tiers des élèves auraient fait carrière dans la diplomatie, puisqu’ils devaient souvent attendre longtemps leur nomination en tant qu’Attaché d’ambassade [62]. D’autant que Napoléon privilégiait la nomination des militaires entre 1800 et 1804 [63].
19. Dès 1806, les élèves aspirants sont recrutés dans le rang des auditeurs au Conseil d’État (et vice versa), ce qui fut réaffirmé en 1810 [64]. Ce lien très fort entre le Conseil d’État et le ministère des Relations extérieures puis des Affaires étrangères (après 1814) va persister notamment à travers le Comité consultatif du contentieux sous la monarchie de Juillet et le Second-empire. Puisqu’il s’agit des mêmes juristes que l’on retrouve tant à la section du contentieux du Conseil d’État qu’à celle du ministère des Affaires étrangères [65]. Mais, à la fin du Iᵉʳ Empire, l’école ne connait plus du tout le même succès – notamment du fait de la persistance des recrutements par cooptation et de la mainmise de Napoléon sur les nominations – et Hauterive s’inquiète de la décadence de l’école dans plusieurs rapports en 1814 [66].
20. Sous la Restauration, le recrutement dans le rang des grandes familles se trouve renforcé par une exigence de revenus minimums même si le principe d’égal accès aux emplois publics reste admis [67]. Le Règlement de juin 1816 impose aux futurs élèves aspirants d’indiquer leurs âges, études, titres, rangs de famille, fortunes, avant que le Roi ne les nomme ce qui va provoquer une poussée aristocratique dans le recrutement des élèves [68]. Puis, à la suite d’un nouveau rapport d’Hauterive, une Ordonnance royale de 1823 organise un examen sur ouvrages, mais le Roi conserve son droit de nomination [69]. Alors qu’Hauterive rend compte dans un énième rapport de l’échec partiel de l’école, un concours d’entrée est de nouveau organisé à partir de 1825 en intégrant plus l’aspect théorique de la formation et le droit des gens [70]. Par ailleurs, le ministère des Affaires étrangères se renseigne sur le mode de recrutement dans les autres pays européens et tente d’imposer un diplôme de droit ainsi que l’apprentissage de l’allemand et de l’anglais comme condition préalable pour intégrer l’école. Ce règlement Polignac (Ministre des Affaires étrangères d’août 1829 à la fin du règne de Charles X) ne fut cependant jamais appliqué [71]. Il faut rappeler qu’à la même époque le droit des gens commence déjà à s’institutionnaliser. Des articles et des recensions portent régulièrement sur la matière dans la revue Thémis ou bibliothèque des jurisconsultes à l’image d’une recension anonyme du Droit des gens moderne de l’Europe de Johann Ludwig Klüber [72]. Dans les années 1830-1850, la Revue de Législation et de Jurisprudence de Wolowski, la Revue étrangère de législation et d’économie politique de Foelix et Les Archives de droit et de législation à Bruxelles publient aussi régulièrement des articles portant sur le droit des gens ou le droit international privé. De même, Paul (Albert) Royer-Collard (1797-1865) est titulaire d’une Chaire du « droit des gens » (détachée « du droit de la nature ») à la Faculté de droit de Paris dès 1829 et Georges Philippe Hepp d’une Chaire du « droit des gens » à la Faculté de droit de Strasbourg [73].
II. Des relations ambiguës entre les diplomates de l’école et le droit des gens
A. Les liens entre l’école et le droit des gens
21. Hauterive, on l’a déjà évoqué, s’est penché sur la question du rapport entre la théorie et la pratique sans avoir participé au célèbre débat philosophique sur cette question qui opposa Kant à Rehberg et Gentz dans les années 1793-1794 [74]. Ses Éléments d’économie politique publiés en 1817 se divisent en deux parties : la première porte sur la théorie ; la seconde sur la pratique [75]. En réalité, Hauterive souligne dans l’ensemble de ses écrits l’importance « du lien entre ceux qui pratiquent et cultivent les sciences » [76]. Cette interconnexion entre la théorie et la pratique se retrouve dans les liens ambigus entre le droit des gens et la formation à la pratique diplomatique au sein de l’école des diplomates.
22. Au départ, la formation des élèves aspirants dure deux années. Les élèves sont sous la surveillance d��un maître. En dehors d’Hauterive, Antoine Bernard Caillard (1737-1807), garde des Archives, ancien ambassadeur aux Pays-Bas et à Berlin avait aussi été l’un des professeurs [77]. Caillard était également un germaniste et il avait traduit en français les Essais sur la physiognomie de Johann Caspar Lavater (1741-1801) que les Portalis avaient rencontré pendant leur émigration [78]. Sur les autres maîtres, Jules Baudard, sous-directeur des Archives et Nicolas Antoine Queux-Dame dit Tessier, on ne dispose que de très peu d’informations [79]. Les aspirants diplomates ne suivaient pas de cours mais étudiaient les divers papiers des négociations se trouvant dans les archives, avant d’effectuer une première expérience pratique dans une des ambassades [80]. Plus tard, ce noviciat sera porté à quatre années [81]. Les élèves sont rémunérés (jusqu’en 1814) et tenus de passer six heures par jour auprès de leurs maîtres dans les archives [82]. Ainsi, il était possible (en théorie) jusqu’en 1810 de n’avoir reçu aucune formation théorique portant sur le droit des gens avant de devenir diplomate.
23. Nonobstant, l’aspect pratique de la formation, Hauterive semble attacher de l’importance à la théorie dans ses Conseils à un élève du ministère des relations extérieures datant de 1811. Dans cet essai destiné à ses étudiants, il souligne l’importance de l’étude du droit des gens et reprend dans son analyse du droit public de l’Europe la traditionnelle méthode de l’analogie entre le droit international et le droit civil. Puisque, le « Droit public n’est en fait qu’une extension et une application de la législation civile aux rapports politiques des divers états » [83]. En effet selon lui, le droit public se divise comme le Code civil. Les souverains à la tête des États correspondent aux personnes, les États aux choses et enfin les traités (médiation, protectorat, confédération, neutralité) aux contrats [84].
24. Pour autant – alors qu’il insiste également sur la nécessité de bien étudier les traités (à travers les recueils de traité de Martens ou l’Abrégé de l’histoire des traités de paix de Koch), les notes et la correspondance et qu’il expose une méthode de lectures et d’études dans la partie bibliographique à la fin de l’ouvrage – Hauterive juge négativement les grands noms du droit des gens des xviie et xviiie siècles [85]. Ainsi, Pufendorf serait, un « auteur obscur, mauvais écrivain, et ses écrits comme le Traité du droit naturel et des gens auraient comme particularité d’être rédigés dans « un style barbare » [86]. De même Barbeyrac qui a traduit Pufendorf et Grotius n’écrit « guère mieux en français » que Pufendorf en latin [87]. Quant à Christian Wolff, la lecture de ses écrits apparait même comme étant « insupportable » même si Formey en traduisant et en abrégeant les ouvrages de Wolff a fait ressortir la qualité distinctive de ce dernier [88]. Enfin, le Droit des gens de Vattel ne serait qu’un « ouvrage diffus, rempli de contradictions et d’inconséquences, et de partialité pour l’Angleterre » [89]. Pourtant, son neveu et fils adoptif, Pierre-Louis-Auguste d’Hauterive (1797-1870), lui-même élève de l’école des diplomates puis sous-directeur des Archives du ministère en 1826, ne rechigna pas à étudier Vattel et les auteurs du droit des gens à tel point qu’il publia une édition du Droit des gens avec un « compendium bibliographique » de plus de quatre-vingts pages en 1838-39 [90].
25. Les Institutions du droit naturel et des gens de Rayneval et le De jure ac Pacis de Grotius obtiennent tout de même les faveurs d’Hauterive [91]. De même que Galiani (sur la neutralité maritime), Lampredi (sur le Commerce des neutres en temps de guerre) et d’Azuni (sur le Droit maritime de l’Europe) ou encore Rayneval sur le terrain du droit maritime [92]. L’Ambassadeur et ses fonctions de Wicquefort est « un livre très mal fait empli de maximes hasardées et de principes douteux mais une quantité de faits le rend indispensable à connaître pour les diplomates » [93]. Au fond, cela s’explique par le fait que pour Hauterive tout comme pour Gentz l’esprit spéculatif a progressé de même que les sciences politiques ou l’économie politique à tel point que les ouvrages des jusnaturalistes des deux siècles passés ne présentent pas un intérêt majeur [94]. D’autant plus que c’est principalement l’aspect pratique qui est mis en avant par l’école des diplomates, même si l’aspect théorique n’est pas délaissé.
26. Ces tendances positivistes et conservatrices vont être renforcées dans les années 1825 à 1830, avec l’arrivée du publiciste suisse Charles-Louis de Haller (1768-1854) qui fut chargé des sujets du concours [95]. Haller avait remplacé Rosenstiel au poste de publiciste du ministère des Affaires étrangères et il était en train de publier la traduction de son ouvrage majeur Restauration de la science politique lequel a donné son nom à la période historique [96]. Le poste de publiciste auprès du ministère des Relations extérieures avait remplacé celui de jurisconsulte auprès du gouvernement en 1799 [97]. Par ailleurs, Haller aurait enseigné un cours facultatif sur le droit international pour les élèves de l’école [98]. En 1825-1826, un concours sur mémoires avait été organisé dans le cadre des réformes de 1825 du baron de Damas (1785-1862) pour la nomination des élèves diplomates au poste de Secrétaire de légation au sein de l’école d’Hauterive [99]. Les candidats devaient répondre à l’une des huit questions portant sur l’histoire, la diplomatie, la haute politique et même le droit international privé (notamment une question sur « les étrangers non naturalisés »). Le poète Lamartine (1790-1869) futur Ministre des Affaires étrangères (1848) y avait participé avec d’autres surnuméraires de l’école dont Armand Lefebvre qui remporta le concours. Les mémoires étaient notés par Hauterive, Laforest, la Garde, Portalis et Flury [100]. Dans ses mémoires, Lamartine, évoque son attachement à l’école des diplomates des archives et à Hauterive par ce témoignage :
M. d’Hauterive, archiviste des affaires étrangères, à qui j’avais plu aussi par ma docilité et par mon ardeur à m’instruire sous sa direction, m’admettait dans son cabinet, me livrait les correspondances en m’en donnant les clefs, et se plaisait à me former avec une bonté vraiment paternelle aux saines idées et à la science cachée de la haute diplomatie, dont il était l’archive vivante sous M. de Talleyrand. J’y passais quelques heures de la matinée, m’initiant ainsi par des études obscures, mais sérieuses, à la connaissance de l’Europe. J’ai dû beaucoup à ces études au-dessus de mon âge, qui développaient en moi le sentiment des réalités politiques, au lieu des utopies et des rêveries dont les journaux remplissaient et remplissent encore les têtes vides de leurs lecteurs, dans une matière qui ne supporte ni les rêves ni les utopies [101].
Enfin, un cours obligatoire de droit international pendant la formation des diplomates devait bien être introduit peu avant la fermeture de l’école en 1830. Mais, la mort d’Hauterive fit avorter ce projet [102].
B. Juridicisation des relations internationales et trajectoires d’élèves aspirants de l’école
27. On l’a vu, à partir de 1835, les affaires juridiques et contentieuses tant dans le domaine du droit maritime que du droit international privé et public ou des réclamations de personnes privées envers le ministère vont être traitées par le bureau du contentieux et par le Comité consultatif du contentieux de cinq membres qui a été institué en 1835 [103]. Ce comité a été en activité jusqu’en 1870 puis de nouveau de 1877 à 1914 où il a été dominé par la personnalité de Louis Renault l’une des figures centrales de l’Institut du droit international et des conférences de La Haye [104]. Selon Yves Bruley, sous le Second-Empire, l’aura du comité était justement liée à la volonté de recréer un poste de « publiciste jurisconsulte » [105]. Du fait des compétences requises dans le domaine du droit des gens, les quatre premiers présidents du comité provenaient de l’école des diplomates : Édouard Mounier (1784-1843), Joseph Balthazar Siméon (1781-1846), Joseph Marie Portalis (1778-1858) (tous les trois liés également par des mariages familiaux) et Ernest de Cadoine de Gabriac (1792-1865) qui était rentré dans l’école des diplomates en 1810 en tant qu’auditeur au Conseil d’État [106].
28. Édouard Mounier, fils de Jean-Joseph Mounier (1758-1806), avait accompagné son père (avocat et personnage central de la Révolution française jusqu’en octobre 1789) en émigration à Weimar [107]. Il étudie à Jena, tout en suivant les cours à l’Institut du belvédère à Weimar, créé par son père. De retour en France en 1801, il entre à l’école des diplomates probablement vers 1804 puis devient conseiller d’État en 1806 conformément à la nouvelle règle avant d’être envoyé à Weimar et en Silésie en tant qu’intendant [108]. Puis il est nommé secrétaire du Cabinet de Napoléon et l’accompagne lors des diverses campagnes notamment en Russie. Rallié à Louis XVIII, il se retire d’abord à Weimar pendant les Cent-jours avant de retrouver le Roi à Gand en mai [109]. Il s’occupe ensuite pendant plusieurs années de la mise en application de la Convention du 20 novembre 1815 en étant notamment président du Comité de liquidation de la dette. C’est dans ce cadre qu’il accompagne le duc de Richelieu au congrès d’Aix-La-Chapelle en 1818 [110]. Par la suite Directeur général de la police puis pair de France, c’est en 1835 à sa création qu’il devient président du Comité consultatif du contentieux pendant deux années avant que Siméon ne prenne sa succession [111].
29. Joseph-Balthazar Siméon (1781-1846) était un natif d’Aix-en-Provence comme Portalis et il avait été recommandé par son père, Joseph-Jérôme, beau-frère d’Etienne-Marie Portalis pour intégrer l’école d’Hauterive [112]. Élève aspirant dès la création de l’école, il est envoyé avec Joseph Bonaparte à Lunéville puis à Florence comme second Secrétaire puis premier Secrétaire de l’ambassade en 1801 [113]. Après un cours passage à La Haye, il est Chargé d’affaires à Florence en 1804-1805, avant d’effectuer également sa carrière principalement en Allemagne, à Stuttgart, Berlin puis Darmstadt [114]. Conseiller d’État depuis 1806, il effectue d’abord une carrière dans l’administration dans diverses préfectures sous la Restauration [115]. En 1837, il succède donc à Mounier à la tête du Comité consultatif du contentieux poste qu’il conserve jusqu’à sa mort en 1846 [116]. Siméon avait composé un manuscrit resté inédit sur le « droit des gens » probablement lorsqu’il était président du Comité consultatif du contentieux [117]. Ce qui démontre que la formation théorique et l’étude de la doctrine du droit des gens a continué à animer Siméon bien après son passage à l’école des diplomates.
30. Joseph Marie Portalis, né le 19 février 1778, fut également l’un des premiers élèves aspirants de l’école lorsqu’il rentra d’émigration avec son illustre père en février 1800 [118]. Fils d’un éminent juriste, il maîtrisait également comme Mounier et Siméon l’allemand depuis son séjour dans le Holstein et était historien à ses heures perdues. En témoigne, son essai sur Du devoir de l’historien de bien considérer le caractère et le génie de chaque siècle en jugeant les grands hommes qui y ont vécu qui remporta en avril 1800 le premier prix de l’Académie royale suédoise dans la section histoire et antiquité [119].
31. Ainsi, après une rapide formation aux archives auprès de Caillard, il accompagne également Joseph Bonaparte à Lunéville puis obtient un poste de Secrétaire d’ambassade auprès de Frédéric Auguste de Saxe à Dresde, où il retrouve la comtesse de Holck rencontrée à Emkendorf, avec laquelle il se marie [120]. Il est ensuite membre de la délégation française à Amiens, où il négocie la paix avant d’être envoyé à l’ambassade de Londres avec le général Andréossy (l’un des nombreux militaires nommés ambassadeur par Napoléon) [121]. Les archives de l’école mentionnent son passage dans les locaux de l’école (en tant qu’élève aspirant) à son retour de Saxe avant son départ pour Amiens et Londres [122]. Après ce séjour anglais sa carrière diplomatique se poursuit en Prusse à Berlin puis auprès du Saint-Empire à Ratisbonne [123].
32. Le neuf juin 1805, il est nommé au ministère des Cultes auprès de son père puis devient comme les autres élèves diplomates conseiller d’État maître des requêtes en 1806 [124]. Comte d’Empire en 1809 avec une rente en Poméranie, il est Directeur général de l’imprimerie et de la librairie du douze février 1810 au cinq janvier 1811, avant d’être révoqué et de connaître une période d’exil forcé sur ses terres en Provence jusqu’en décembre 1813 [125]. De retour en grâce, il entame une carrière de juge en tant que premier président de la Cour impériale d’Angers [126].
33. Sous la Restauration, il mène en parallèle sa carrière de juge-diplomate tantôt comme conseiller auprès de la Cour de cassation puis comme diplomate auprès du duc de Blacas à Rome lors de la renégociation du Concordat de 1817 rejeté par les Chambres [127]. Ministre de la Justice puis des Affaires étrangères à la fin du règne de Charles X, il poursuit également son ascension au sein de la Cour de cassation : président de la Chambre criminelle en 1819-1824 puis premier président de la Cour en 1829, poste qu’il occupe jusqu’en 1852 [128]. Mais, il continue de s’occuper des questions liées au droit international, à l’image de l’affaire de la dette espagnole après la guerre de 1823, de la commission chargée de la vérification des pensions du ministère des Affaires étrangères en 1824-1825, ou, on l’a vu, de celle chargée d’examiner les travaux du concours des attachés et surnuméraires de 1825-1826 [129].
34. À la fin de sa vie, il revient à la diplomatie et à son premier ministère puisque le 3 février 1854, il est nommé au président du Comité consultatif du contentieux du ministère des Affaires étrangères du fait de « l’éclat d’un nom qui représente une des sommités de la magistrature et qui a figuré avec tant d’honneur en bas de nos pièces diplomatiques » [130]. Par ailleurs, Portalis avait apporté sa pierre à l’édifice de la science du droit international à travers plusieurs contributions. Tout d’abord, par le biais de son rapport sur le Traité de droit international privé de Nicola Rocco. Dans son compte-rendu de l’ouvrage, Portalis développe ses propres pensées et exprime l’idée d’un futur code universel régissant les rapports entre les nations. Mancini avait beaucoup apprécié la recension de Portalis [131]. Ensuite, la Section législation, droit public et jurisprudence de l’Académie des sciences morales et politiques avait décerné en mai 1840 un prix sur la question de savoir : « Quels sont les progrès que le droit gens a faits en Europe depuis la paix de Westphalie ? » [132]. Or, c’est Portalis qui présenta le rapport du prix de l’Académie auquel Henri Wheaton, l’auteur des Elements of International Law (1836) avait participé sans succès. Dans les rangs du jury et des membres de l’Académie se trouvaient en plus de Portalis, Dupin « l’aîné », Bérenger, Siméon père, Berriat de Saint Prix et Troplong (qui succéda à Portalis tant à la présidence de la Cour de cassation qu’à celle du Comité consultatif du contentieux du ministère des Affaires étrangères). Le prix fut attribué à Maurice d’Hauterive le fils de Pierre-Louis-Auguste Hauterive (1797-1870), lui-même neveu et fils adoptif du comte d’Hauterive [133]. Il est fort probable que Portalis ait souhaité remercier son maître avec qui il avait conservé des liens très étroits toute sa vie [134]. Enfin, Portalis a rédigé et publié son propre essai sur la guerre en 1856 c’est-à-dire à l’issu de la guerre de Crimée et de la refondation du Concert européen [135]. L’essai de Portalis se situe dans la lignée des débats sur la paix perpétuelle dans les années 1795-1800 et dans les années 1814-1823 [136]. Les réflexions de Portalis sur « la république européenne » et la guerre comme processus civilisationnel sont très proches de celles développées par Gentz dans son essai Sur la paix perpétuelle en 1800 lequel reprend l’idéal kantien de la réalisation de la paix par le droit et le perfectionnement des institutions [137].
Conclusion
35. L’école des diplomates d’Hauterive ne semble pas avoir révolutionné le mode de recrutement des diplomates ou encore la formation de ses derniers. Ainsi, le système de patronage et les cooptations sont restés en place de la Révolution française à la monarchie de Juillet à de rares exceptions près. D’autant que – comme aujourd’hui encore pour les ambassadeurs – beaucoup de diplomates étaient nommés sans être passés par l’école ou sans diplôme directement par le Premier-consul, l’Empereur, ou le Roi. Mais, le système de concours et l’existence de l’école a bien permis de légitimer du moins en partie l’acquis révolutionnaire d’égal accès aux emplois publics tout en perpétuant la reproduction sociale des diplomates. Et une ébauche de professionnalisation du métier de diplomate a bien eu lieu.
36. Par ailleurs, une certaine juridicisation des relations internationales semble bien être à l’œuvre mais plutôt à partir des années 1830, avec l’obligation de la détention d’un diplôme juridique pour faire carrière et les amorces d’institutionnalisation de la discipline par le biais des cours de « droit des gens », de la publication de manuels sur le droit international et d’articles dans les revues juridiques ou de concours dans les Académies des sciences. De plus, même si l’école des diplomates a entretenu une relation ambiguë avec le droit des gens et que la formation de l’école privilégiait l’apprentissage de la pratique diplomatique, les anciens élèves ont bien participé à la juridicisation des relations internationales à travers le rôle qu’ils ont joué au sein du Comité consultatif du contentieux entre 1835 et 1870. De plus, Hauterive (père et fils), Portalis le jeune ou encore Rayneval (père et fils) ont participé à la construction du droit international par le biais de la publication de rééditions de Vattel, d’ouvrages sur le droit des gens et sur la formation diplomatique ou encore de comptes rendus de manuel et de rapport de prix d’Académies. Ainsi, non seulement, le droit international ne s’est pas effacé dans les années 1815-1869 pour renaître avec la génération de l’Institut du droit international, mais il conviendrait d’approfondir l’analyse des réseaux des juristes internationalistes et des lieux de diffusion des savoirs dans cette période qui précède l’autonomisation de la discipline [138].
Raphaël Cahen
Chercheur postdoctoral et professeur invité
à la Vrije Universiteit Brussel (VUB)