1. En s’emparant de la thématique des rapports entre droit et anthropologie, ce numéro de Clio@Themis s’inscrit, à l’instar de numéros précédents, dans la perspective d’une histoire sociale et intellectuelle du droit. C’est à partir des rapports difficiles entre droit et anthropologie que ce volume poursuit plus spécifiquement l’enquête sur le couple droit et (autres) sciences sociales, entendu ici, non seulement comme objet, mais également comme méthode. Que les relations entre droit et anthropologie n’aient rien d’évident, nul n’en disconvient. Dans un récent panorama sur l’état de l’anthropologie juridique française, Louis Assier-Andrieu écrivait malicieusement que « projeter un juriste dans une société exotique n’en fait pas plus un anthropologue qu’envoyer un anthropologue à l’audience n’en fait un juriste » [1]. Et de rappeler, comme d’autres avant lui, le dialogue délicat entre deux savoirs forgés dans des traditions méthodologiques opposées, utilisant parfois des termes identiques pour désigner des concepts différents (coutume, parenté, etc.), et, pour tout dire, porteuses d’une façon différente de penser le monde.
2. Ces apories réelles sont, sans doute, l’une des raisons expliquant la crise unanimement diagnostiquée de la discipline « anthropologie juridique » dans les facultés de droit françaises [2]. Crise ou mort clinique ? Dans l’espace français, la situation institutionnelle est critique. Si la revue Droit et cultures a récemment publié son 78e numéro sur le thème de « L’étranger et le droit. Ce que l’altérité fait au droit », l’Association française d’anthropologie juridique (AFAD) a disparu et le Laboratoire d’anthropologie juridique de Paris a récemment fermé. Le Centre d’histoire et d’anthropologie du droit de l’université Paris Nanterre (et son Master histoire et anthropologie juridique comparées) comme l’Institut d’anthropologie juridique de Limoges (et son Master histoire du droit axé sur l’anthropologie de la conflictualité) constituent presque des exceptions dans le paysage académique français. D’une manière générale, ces deux centres actifs promeuvent plutôt une anthropologie historique du droit qu’un programme de recherche « Droit & Anthropologie ». Une sensibilité anthropologique est repérable, d’une manière disséminée, dans quelques centres de recherche ou dans des offres de formations consacrées au droit comparé, au droit africain ou à la culture juridique. En réalité, la visibilité de l’anthropologie du droit est assurée essentiellement par les publications et les initiatives de quelques enseignants-chercheurs juristes réputés (mais pas toujours connectés aux facultés de droit), par les initiatives non-académiques (de type associatives, gouvernementales, etc.) et par les efforts déployés par des anthropologues non-juristes. Ces derniers ont su investir d’une manière innovante ce champ en dépassant les préventions traditionnelles que les sciences humaines ont à l’égard du droit [3]. Plus à l’aise que les juristes avec le financement par projet, ces anthropologues ont pu porter ces dernières années des programmes ambitieux abordant certains pans de d’anthropologie juridique [4]. Ajoutons que, dans les facultés de droit, non seulement l’offre de cours consacrés à ce domaine est (ridiculement) réduite mais aussi les thèses qui lui sont dédiées sont une denrée particulièrement rare. Il est vrai que les enseignants-chercheurs susceptibles de guider les étudiants sur ce terrain sont quasi-inexistants dans les facultés de droit ; une fois docteur, l’anthropologue du droit en herbe aura, par ailleurs, toutes les peines du monde à trouver une place à l’Université. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation inquiétante et quelque peu désespérante ? Faut-il incriminer, pour la énième fois, la fermeture des facultés de droit ? Doit-on se désoler de l’incapacité de toute une génération de juristes-anthropologues à intéresser le milieu juridique à leur démarche ? L’anthropologie juridique se sera-t-elle perdue dans une expertise publique qui n’a plus besoin de dialoguer avec les acteurs académiques ? La situation dans le reste de l’Europe est-elle un peu plus enviable ? Vraisemblablement, notamment en Allemagne comme en témoigne l’existence et les activités du département « Law & Anthropology » du Max Planck Institute for Social Anthropology (Halle) [5].
3. Notre but n’est pas, dans ce numéro de Clio@Thémis, de proposer un état de la discipline ni d’analyser les causes de cette « crise » si souvent diagnostiquée. Cette situation de crise de la discipline – il semble qu’elle soit presque aussi vieille que la discipline elle-même – [6] ne s’explique pas uniquement pour des raisons institutionnelles. Elle tient sans doute également aux impensés que l’anthropologie juridique française charrie avec elle depuis sa fondation disciplinaire dans les années 1960 [7]. Assez étonnamment, en effet, l’histoire de l’anthropologie juridique n’a jamais fait l’objet d’études autres que des textes mémoriels visant à justifier la pertinence de la discipline et à l’inscrire dans une généalogie acceptable [8]. Ses assises racialistes, colonialistes et biologiques, qui furent celles du xixe et du début du xxe siècle, ont fait l’objet d’un refoulement peu propice à un retour réflexif sur soi. Or, cette absence de réflexion historique française [9], à de très rares exceptions près [10], a persisté jusqu’à aujourd’hui. Ce vide historiographique contraste de manière frappante avec les nombreux travaux de qualité et le dynamisme de la recherche en histoire de l’anthropologie [11]. Contrairement à leurs collègues des facultés de droit, les historiens de l’anthropologie, physique [12] comme sociale et culturelle [13], n’ont pas hésité à affronter la question coloniale ou celle de la race, s’engageant, plus largement, dans une démarche historiographique critique [14]. Sur ce terrain, la contribution de Silvia Falconieri, ouvrant une voie féconde, se révèle très éclairante sur la façon dont les juristes, spécialistes du droit colonial, mobilisent, en particulier dans l’entre-deux-guerres, l’anthropologie raciale et physique pour façonner les statuts de sujet et de citoyen dans l’empire français. Elle démontre ce faisant comment les juges annexent les savoirs extra-juridiques à leur raisonnement, par le biais des expertises ethniques. C’est, ici, la question de la nature biologique de l’homme et de ses incidences sur la pratique juridique qui est posée.
4. Le récit mémoriel qu’ont bâti les artisans de la « disciplinarisation » de l’anthropologie juridique (c’est-à-dire, pour le dire très brièvement, une anthropologie décolonisée et détachée de la domination occidentale), à partir des années 1960 a, à l’inverse, abouti à priver cette dernière d’un regard d’ensemble sur ce que peut recouvrir, au sens large, une anthropologie des juristes. En privilégiant une histoire des savoirs sur le temps long à une histoire disciplinaire aussi courte que réductrice, ce numéro de Clio@Themis a souhaité rappeler combien la question de l’anthropologie juridique ne se réduit pas, historiquement, à l’anthropologie criminelle [15] ou encore à la question coloniale, non plus qu’elle se résumerait à une histoire des étapes de la pensée anthropologique sur le droit, avec son cortège de précurseurs et d’auteurs canonisés. C’est donc à ouvrir des perspectives neuves que s’est attaché ce dossier, dans le cadre d’une socio-histoire attentive à l’ordinaire de la rencontre entre anthropologie et droit. Initialement issu d’un colloque éponyme tenu à Carcassonne les 27 et 28 février 2017 avec la complicité de l’ethnopôle Garae, le numéro a progressivement été enrichi par d’autres contributions, en particulier étrangères [16].
5. Le dossier se compose de contributions plus spécifiquement historiques, auquel s’ajoutent des articles portant sur des objets plus contemporains – quoique non dépourvus de perspective longue – souhaitant proposer quelques pistes de recherche pour l’avenir. Aussi l’un des objectifs du dossier était-il de permettre de confronter les approches de l’anthropologie des juristes et du « juridique des anthropologues » [17]. La partie plus proprement historique du dossier rappelle qu’en France au moins, l’histoire des rapports entre le droit et les savoirs anthropologiques au sens large (science antiquaire, folklore, ethnographie, ethnologie, anthropologie physique, anthropologie culturelle, etc.) reste à écrire [18]. Faire le choix, comme plusieurs contributeurs, de s’écarter de l’histoire strictement disciplinaire autorise ainsi un élargissement des perspectives, à même de révéler toute la richesse et la variété des réflexions anthropologiques sur le droit. Celles-ci, indubitablement, trouvent leurs racines à la Renaissance, tant en raison de la découverte du nouveau monde [19] que du contexte de l’humanisme, propice au décloisonnement des savoirs. La contribution de Géraldine Cazals démontre tout l’apport des jurisconsultes humanistes au développement de l’anthropologie, entendue comme l’étude des êtres humains sous tous leurs aspects physiques et culturels. Elle rappelle, corrélativement, les incidences profondes que l’horizon anthropologique des jurisconsultes du xvie siècle exerce sur la pensée juridique du temps.
6. Au xixe siècle, les progrès des sciences de l’Homme (paléontologie, folklore, ethnographie, anatomie, etc.) conduisent les juristes à interroger l’homme juridique en société, autre façon de sonder les cultures juridiques. Les contributions de Frédéric Audren, sur l’enseignement d’histoire des législations comparées de Jacques Flach au Collège de France (assorti de la reproduction de l’une des leçons de Flach sur le totémisme, dispensée en 1900-1901) et de Laetitia Guerlain sur l’œuvre « ethno-juridique » d’Émile Jobbé-Duval démontrent l’attention très aigüe des juristes – et en particulier des historiens du droit – pour les écrits ethnologiques et ethnographiques de leur temps, dont ils se montrent fins connaisseurs. Loin de n’être qu’une curiosité ou une connaissance de surface, la littérature anthropologique de la seconde moitié du xixe siècle innerve et bouleverse profondément leur œuvre. La contribution d’Alain Chenu partage avec celle de Frédéric Audren la caractéristique de se présenter comme le commentaire d’un texte inédit, ici un manuscrit de René Maunier, éclairant d’un jour nouveau un moment charnière de la carrière de celui qui fût un grand artisan du développement de l’ethnologie juridique dans l’entre-deux-guerres. Quant à la contribution de Kaius Tuori, auteur d’une récente histoire de l’anthropologie juridique anglo-saxonne [20], elle confirme que ces perspectives historiques ne sauraient rester confinées à l’espace français. Si les différents articles précités mettent bien en avant une circulation large des savoirs entre pays, essentiellement par le biais de lectures, la contribution de Tuori s’empare plus précisément du cas anglo-saxon. L’auteur se propose d’examiner la manière dont la science juridique du xixe siècle a conceptualisé et traité l’altérité en droit, en prenant pour exemple l’ordalie et la vengeance, afin d’illustrer la façon dont le concept de rationalité juridique a évolué au moment du développement de l’anthropologie juridique.
7. L’anthropologie du droit, en France mais aussi au-delà, survivra-t-elle au post-colonialisme ? La discipline est-elle soluble dans les indépendances nationales ? En adossant la discipline aux processus de décolonisation (notamment pour ce qui concerne l’Afrique subsaharienne) et à la reconnaissance du pluralisme juridique, l’anthropologie du droit se trouve à présent comme désœuvrée, déconnectée devant le nouvel état de la planète affrontant des nouveaux défis. En France, l’anthropologie du droit a-t-elle quelque chose à dire de notre monde contemporain (nouvelles normativités, nouvelles violences, nouvelles menaces, etc.), sinon – et cette dimension demeure essentielle – à faire valoir la relativité des droits et la nécessaire reconnaissance des autres cultures juridiques ? Une chose semble certaine : si, comme le montre Albane Geslin, le paradigme du « pluralisme juridique » fut si structurant et stratégique pour l’institutionnalisation et le développement de la discipline, tant d’un point de vue épistémologique, institutionnel que politique, il semble à présent connaître un épuisement certain. De l’avis de bien des observateurs, le « pluralisme juridique » ne semblerait plus en mesure d’organiser une politique de recherche dans le domaine Droit & Anthropologie et ressasserait les mêmes critiques contre le droit étatique et la domination juridique, sans pour autant donner accès à des nouvelles manières de voir et de penser les droits étrangers. Le « pluralisme juridique » se serait-il embourbé définitivement dans les marécages du concept de droit et pris les pieds dans les pièges des analogies floues ? À n’en pas douter, il y a quelque injustice à répudier purement et simplement ce paradigme du « pluralisme juridique » mais il serait sans doute indispensable d’interroger, enfin, ses limites et ses faiblesses pour la discipline et sa capacité à se renouveler. Fernanda Pirie, qui est notamment l’auteur d’une très originale introduction à l’anthropologie du droit [21], présente ici, à partir de son terrain de prédilection, le Tibet, certains résultats d’une vaste enquête sur le phénomène du « legalism » (le terme est tantôt traduit par « légalisme » tantôt par « juridisme »). Depuis quelques années, au croisement de l’histoire et de l’anthropologie, un collectif de chercheurs a élaboré une réflexion sur le « légalisme » et la façon dont il traite « le monde à partir des catégories et des règles, explicites ou non, qui sont distinctes de la pratique » (selon la conception proposée par Paul Dresch) [22]. Cette attention portée au phénomène de « légalisme » est une manière d’échapper aux apories du « pluralisme juridique » et souhaite offrir un instrument adapté pour saisir « le droit » dans des temps et des espaces très divers (l’histoire tombe ici sous la juridiction de l’anthropologie, à moins que ce ne soit l’inverse). Par là même, Fernanda Pirie trace un cadre d’analyse, susceptible de généralisation, attentif au raisonnement juridique (la rationalité propre du droit) plutôt qu’à un système juridique spécifique. Elle offre, avec ses collègues engagés dans cette enquête, une des voies contemporaines fécondes pour le renouvellement de l’anthropologie du droit.
8. Ce qui frappe, dans les travaux actuels d’anthropologie du droit à la française, c’est la « fin de l’exotisme » (pour paraphraser le titre de l’ouvrage d’Alban Bensa) et un recentrage sur l’espace occidental dominé par l’invention romaine du droit. Pour le dire en termes (trop) simples, à une anthropologie des mondes (plus ou moins) lointains succède une anthropologie du droit en Occident (voire une anthropologie juridique de l’Occident [23]). C’est là toute la force de l’argument présenté par Louis Assier-Andrieu, dans le texte publié en ouverture de ce numéro : avant toute autre chose, l’anthropologie doit être un instrument pour nous connaître nous-mêmes, nous les héritiers de la romanité juridique, et non pour imposer notre vision normative aux altermondes. Il faut bien dire que, sous la IIIe République, les historiens du droit (Brissaud, Flach, Glasson, Jobbé-Duval et quelques autres) versés dans l’ethnologie, ne prétendaient pas faire autre chose, avec ce détour, que d’accroitre les lumières sur leur propre passé juridique. Bref, non sans une certaine provocation, l’invitation de Louis Assier-Andrieu est une sorte d’adieu des juristes aux tropiques… Un tel appel constitue, sans aucun doute, une solution possible à cette crise de l’anthropologie juridique : intéresser les juristes à ce qu’ils sont et, surtout à ce qu’ils font en analysant leurs pratiques ordinaires, en restituant les opérations du droit qu’ils réalisent et les raisonnements qu’ils construisent [24].
9. C’est très exactement l’approche proposée par l’anthropologue Annelise Riles, dont nous publions le texte « Le droit est-il porteur d’espoir ? » [25], qui s’attache tout particulièrement à la technique juridique du « comme si ». Il s’agit, à notre connaissance, de la première traduction française de cette figure centrale et innovante de l’anthropologie américaine. Son œuvre constitue une ressource essentielle pour penser à nouveau frais cette anthropologie des mondes juridiques contemporains. Pour s’en convaincre, on se plongera dans son ouvrage intitulé Collateral Knowledge. Legal Reasoning in the Global Financial Markets (University of Chicago Press, 2011) dans lequel elle montre, à partir d’une ethnographie du marché japonais des produits dérivés, comment la régulation des marchés financiers passe par un ensemble de (micro)techniques juridiques (des techniques ordinaires) souvent passées inaperçues. Annelise Riles avait, à cet égard, exposé ce programme de recherche dans un article – « A New Agenda for the Cultural Study of Law : Taking on the Technicalities » (Buffalo Law Review, 53/2005, p. 973-1033) – qui a inspiré librement le titre de notre introduction. Cette invitation à se saisir des travaux d’Annelise Riles (comme ceux de Fernand Pirie et Kaius Tuori) signale assez bien une évidence qu’il est bon de rappeler une fois encore : la reconstruction d’une anthropologie du droit en France (et ailleurs) passe nécessairement par un intense dialogue transnational et une meilleure connaissance de la production scientifique sur ce domaine en Europe et dans le reste du monde. C’est d’ailleurs à un dialogue de ce type qu’invitent, par une série d’initiatives récentes, le département « Law and Anthropology » du Max Planck Institute for Social Anthropology et sa directrice Marie-Claire Foblets.
10. Qu’est-ce que le droit fait à l’anthropologie ? La réflexion ne se contente pas seulement d’analyser le droit à la lumière de l’anthropologie ; elle se propose, dans un mouvement inverse, de saisir ce que le droit et son pouvoir d’ordonnancement du monde social peut transformer dans les manières de voir, de penser et de faire de l’anthropologie. Consacré à la reconnaissance des peuples autochtones, l’article d’Irène Bellier montre comment une catégorie juridique nouvelle, aussi disputée soit-elle, est susceptible de transformer les questions que l’anthropologie pose aux groupes sociaux étudiés et aux institutions qui portent les revendications d’autochtonie [26]. Sans ignorer le moins du monde les dimensions politiques des débats liés aux « droits des peuples autochtones », l’enquête ne cherche pas à rabattre cette catégorie sur les seuls intérêts en jeu. Elle montre aussi combien la vie du droit, toujours en mouvement, peut affecter la démarche même de l’anthropologue, le contraignant en quelque sorte à réinventer son questionnaire et à ajuster sa grammaire. À la fois pour se faire le sismographe subtil des transformations en cours dans la société contemporaine mais aussi pour ne pas se trouver prisonnier des catégories que les ruses du droit n’en finissent pas de lui imposer.
11. Les voies possibles d’un renouvellement de l’anthropologie du droit sont nombreuses pour peu que le dialogue entre les anthropologues et les juristes soit renoué. Les uns comme les autres gagneront à se montrer attentifs à leurs méthodes et leurs interrogations respectives. Incontestablement, les ressources pour penser à nouveaux frais les relations entre droit et anthropologie ne manquent pas, comme le démontrent – pour ne prendre qu’un exemple – les développements d’une anthropologie du procès [27]. C’est ce dont le nouveau dossier Clio@Thémis voudrait convaincre le lecteur. Sans aucun doute, la relance d’une dynamique de recherche pour l’anthropologie du droit dépendra aussi de sa capacité à se réapproprier son histoire, d’une manière critique et non commémorative. Pour le cas français, cette nouvelle anthropologie devra, par conséquent, à la fois affronter les fantômes du colonialisme, abandonner ses rêves d’une virginité épistémologique à l’écart de la tradition continentale et redécouvrir la diversité des approches qu’elle a su expérimenter depuis le xixe siècle. Et si, pendant longtemps, c’est l’Autre du droit qui fut sa préoccupation exclusive, il appartient plus systématiquement à cette anthropologie de faire droit à Soi-même comme un autre, c’est-à-dire de diriger le regard anthropologique vers les formes de la rationalité juridique occidentale. C’est, sans doute, en marchant sur ses deux jambes (et non sur une seule) que la discipline retrouvera une place de choix dans les milieux juridiques.
Frédéric Audren
CNRS-École de droit de Sciences Po (Paris) / Centre Perelman de philosophie du droit (Bruxelles)
Laetitia Guerlain
Institut de recherche Montesquieu / Université de Bordeaux
Centre Alexandre-Koyré – Histoire des sciences et des techniques (UMR 8560, EHESS/CNRS/MHNH)